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Le média Slate a publié un très bon article qui synthétise l’histoire du plaisir féminin. Il a été écrit par la journaliste Audrey Parmentier et publié le 16 septembre 2020. Nous le relayons ici.
Temps de lecture: 5 min
Au XIXe siècle, la masturbation féminine est associée à de nombreuses pathologies. Dénigrée voire diabolisée, cette pratique est longtemps restée taboue. Jusqu’à aujourd’hui.
Il était une fois, John Harvey Kellogg. Inscrit en lettres rouges sur fond blanc, son patronyme barre la moitié de nos boîtes de céréales. Mais l’héritage du médecin américain ne s’arrête pas à l’invention des corn flakes. Au milieu du XIXe siècle, l’idéologue mène une croisade violente contre la masturbation.
D’après le docteur en philosophie David Simard, qu’il soit féminin ou masculin, l’onanisme a longtemps été prohibé. Mais les manœuvres pour empêcher les femmes de toucher leur sexe ont fait couler beaucoup d’encre et c’est pour ça qu’on s’intéresse au docteur Kellogg.
Dans l’histoire des femmes, son nom est associé à une pratique terrible: la prescription d’acide carbolique (phénol) sur le clitoris afin de calmer les ardeurs des femmes. «Depuis les années 1860, cet acide fait office d’antiseptique lors des opérations chirurgicales», indique le chercheur. Mais pourquoi empêcher les femmes de se donner du plaisir?
Installé dans le Michigan, le médecin tient la masturbation féminine comme responsable de tous les maux: cancer de l’utérus, crise d’épilepsie, folie. Dans la bande dessinée L’origine du monde (parue en 2016), l’autrice Liv Strömquist le hisse à la septième place du classement intitulé «Ces hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle les organes féminins».
Ablation ou brûlure au fer rouge
Combien de femmes ont été mutilées? C’est très difficile à dire selon David Simard. À l’époque, John Harvey Kellogg est un homme influent et perçu comme «l’un des protagonistes de l’utilisation et d’une certaine représentation de la santé sexuelle», selon le chercheur. Entre 1876 et 1906, le docteur Kellogg dirige le sanitarium de Battle Creek –un lieu où les gens apprennent à être en bonne santé. À son acmé, le centre pouvait accueillir plus de 1.200 patient·es. Entre 1906 et 1931, il dirigea un deuxième sanitarium qui pouvait recevoir 7.000 personnes.
La mère spirituelle de Kellogg n’est autre qu’Ellen White, cofondatrice de l’Église adventiste du septième jour –qui prône la pureté du corps afin de pouvoir accéder au paradis. Son appartenance à cette congrégation religieuse influence ses recherches.
Dans le cadre de la santé sexuelle du protestantisme américain, les médecins étaient unanimes: «La masturbation était un vice moral qui portait atteinte à la santé globale et sexuelle», souligne David Simard. Il explique d’où vient cette haine pour le plaisir solitaire: «Ces médecins –dont Kellogg– ont une représentation du vivant comme vigueur et vitalité. Il y a un fond vitaliste dans leur représentation du vivant avec une physiologie développée par ces docteurs protestants qui repose sur l’idée d’énergie vitale. Donc, la masturbation est considérée comme induisant une perte d’énergie, un épuisement.»
De l’autre côté de l’Atlantique, les médecins européens combattent aussi l’onanisme. Si cette lutte était une compétition, le gynécologue anglais Isaac Baker Brown remporterait la palme d’or. Considéré comme le père de la clitoridectomie, il pratique l’ablation du clitoris chez les jeunes filles pour éviter qu’elles se touchent. Des centaines d’Anglaises auraient été excisées entre 1865 et 1980.
Dans les pays voisins, on peut évoquer le médecin belge Jules Guérin qui brûlait le clitoris des jeunes femmes au fer rouge, comme le rappelle Marie-Rose Galès dans son livre Endo & Sexo – Avoir une sexualité épanouie avec une endométriose (paru en 2019). Comment expliquer une telle diabolisation de la masturbation outre-Atlantique et en Europe?
Plaisir à visée procréative
Le corps médical s’empare de la question de la masturbation à la fin du XVIIIe siècle. L’onanisme mettrait en danger la procréation qui «conduirait à l’épuisement de l’élixir, soit le liquide séminal», complète Scarlett Beauvalet, professeure d’histoire moderne à l’Université de Picardie . Durant cette période, les rapports sexuels se réduisent à «faire de beaux enfants».
En Europe, les racines de ce discours médical ne sont pas religieuses. L’Église tient des propos différents mais aboutissant aux mêmes conclusions. «Pour l’institution religieuse, la procréation est indissociable du mariage. En dehors de ce cadre, c’est de la sexualité contre-nature», éclaire Scarlett Beauvalet.
Si la masturbation féminine est taxée de vice moral, elle est aussi associée à de nombreuses maladies. «Par exemple, l’hystérie est liée à l’organe féminin, il faudra attendre Freud au XXe siècle pour comprendre que cette maladie touche aussi bien les hommes que les femmes», poursuit Scarlett Beauvalet.
À cette époque, on colle à la compagne l’étiquette d’un être totalement passif lors des rapports sexuels: «Depuis Aristote, on parle tout de même de “femme réceptacle”; en fait, elle fait office de vase! Perçue comme une séductrice, la femme non mariée est dangereuse. C’est pour cela qu’on doit la canaliser, notamment à travers le mariage.»
Des femmes passives qui –dans l’idée générale– arriveraient ignorantes dans le lit conjugal. «Ça doit être l’homme qui initie son épouse à l’activité sexuelle. C’est un dogme», raconte Sylvie Chaperon, historienne du féminisme et des mouvements des femmes.
Et le plaisir féminin dans tout ça? Quand on en parle, il est souvent abordé sous le prisme de la procréation. Dès l’Antiquité, les savants pensent que le plaisir de la compagne est nécessaire à la fécondation. «Il y avait aussi l’idée que l’utérus ne s’ouvrait qu’au moment où la femme jouissait», rappelle l’universitaire.
2017, «cunnilingus» sort spontanément
Au XIXe siècle, on observe à l’aide du microscope des ovules et des spermatozoïdes. «On découvre l’ovulation spontanée, qui n’est pas liée à un orgasme mais à un cycle, relate la chercheuse. Cependant, les médecins continuent de voir le plaisir comme indispensable –notamment dans le maintien des liens matrimoniaux. «À la fin du XIXe siècle, le discours change: certains spécialistes estiment que le plaisir féminin n’est pas si fréquent ou important», constate Sylvie Chaperon. Elle cite en exemple le médecin Pierre Garnier qui remet en question le clitoris comme siège du plaisir féminin.
La sexualité de la femme serait rattachée à la procréation ou bien au maintien des liens conjugaux. Elle ne peut donc être solitaire! Alors que la masturbation masculine se normalise au début du XXe siècle, son équivalent féminin reste encore très mal vu. «On a longtemps considéré que les femmes n’avaient ni désir, ni plaisir. Si elles se masturbaient, cela démontrait une forme de perversité. Une femme, ça doit se tenir, rester discrète et réservée alors qu’on pousse les hommes à exprimer leur pouvoir, leur volonté et surtout leurs envies», analyse Janine Mossuz-Lavau, sociologue et autrice du livre La Vie sexuelle en France paru en 2018. Les femmes auraient moins de besoins sexuels et cette pensée résiste jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
«Aujourd’hui, les différences entre sexualité féminine et masculine perdurent encore, mais la masturbation féminine n’est plus un tabou», note la spécialiste qui a mené en 2000, puis en 2017, la même enquête sur l’intimité des Français·es. «En 2017, les femmes abordent la question de la masturbation spontanément. Avant, il fallait que je lance le sujet», commente-t-elle.
Janine Mossuz-Lavau a rencontré des femmes qui connaissent mieux leur corps et affirment davantage leurs désirs. D’ailleurs, la sociologue remarque l’utilisation d’un terme encore peu présent, il y a dix-sept ans, dans la bouche des femmes: «cunnilingus». Une pratique longtemps jugée humiliante et inutile –pour les hommes, évidemment.
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