Perpétuation des mariages forcés

Perpétuation des mariages forcés

Les mariages forcés et/ou précoces que nous dénonçons aujourd’hui auprès de nombreuses institutions et nombreux acteurs sociaux  sont loin d’être une « innovation ». Nous savons que les unions décidées, organisées et imposées par la famille ont existé dans la plupart des sociétés, tout comme elles persistent encore aujourd’hui dans une grande partie du monde. Cependant, il apparait que ce type de mariage, tel qu’il existe aujourd’hui dans les sociétés occidentales, relève de motivations et de préoccupations spécifiques. Rappelons toutefois que, si les mariages forcés et/ou précoces ne sont plus la règle, ni la norme en France, du fait de différents bouleversement et progrès sociaux, il a tout de même fallu attendre la loi du 4 avril 2006 pour que l’âge « nubile » des filles passe de 15 ans à 18 ans, comme pour les garçons…

Au fil de nos entretiens avec les jeunes filles, nous questionnons les raisons, selon elles et selon ce qu’elles en ont compris, de la décision de leurs parents de les contraindre à un mariage. Quelle que soit l’origine de ces derniers, de grandes lignes communes peuvent être dessinées :

  • Un fonctionnement traditionnel impliquant que le projet matrimonial est, avant toute chose, une « affaire familiale », avec la volonté de respecter une manière de faire perçue comme séculaire. « C’est comme ça qu’on a toujours fait chez nous… », « C’est aux parents de choisir quand et avec qui les enfants doivent se marier… ». Ce fonctionnement traditionnel implique d’une manière très marquée l’idée que les enfants « appartiennent » aux parents et à la famille. Le choix individuel, tout comme la prise d’autonomie des enfants devenus adultes, semblent alors être rejetés au profit de la volonté familiale et de sa cohésion. La situation migratoire est ici prégnante car l’éloignement avec la société d’origine déclenche parfois un repli identitaire. Le mariage forcé des jeunes serait alors un « acte d’allégeance » à la famille restée au pays, aux coutumes et aux traditions, même si ces dernières sont en diminution dans les régions d’origine. Ainsi, certaines filles que nous accompagnons, nous racontent que « leurs cousines, au Bled, ont pu choisir leurs époux ». En mariant leurs enfants contre leur gré, certaines familles veulent marquer que malgré l’exil, malgré la distance, elles conservent leur identité « de départ », et qu’elles ne sont pas assimilées à la société française.
  • La crainte des parents de voir leurs enfants (et particulièrement leurs filles) nouer des relations amoureuses et/ou conjugales avec des personnes issues d’une autre origine. En effet, nombre de ces parents semblent redouter, dans le contexte pluriculturel français, des mariages mixtes, qui aboutiraient selon eux à une acculturation, une dissolution de l’identité familiale et à une « perte de contrôle » de la famille sur le couple. C’est pourquoi les jeunes filles que nous recevons, doivent épouser des personnes « exactement » de la même origine ethnique, géographique, religieuse, tout comme les systèmes de castes doivent être respectés (Afrique subsaharienne et Inde). Ces parents semblent avoir parfaitement conscience du fait que la société dans laquelle évoluent leurs enfants, implique que ceux-ci fréquentent des jeunes issus de milieux très divers et que, ainsi, les « mésalliances » sont un risque non négligeable. C’est pourquoi des mariages sont organisés rapidement, parfois de manière précoce, avec une personne « triée sur le volet », souvent un cousin (ou une cousine) proche ou éloigné(e). « Si tu te maries avec quelqu’un de différent de nous, tu perdras ta culture, ta religion… ». « On ne peut pas faire confiance aux autres, on ne les connait pas… ». « Si tu as un différend avec ton mari et qu’on ne connait pas sa famille, comment régler ce problème ? » Ce système de mariage endogame est parfois accompagné d’une volonté de renforcer l’attachement à la culture « d’origine » par « l’injection de sang neuf », illustré notamment par « l’importation de brus ou de gendres» très usitée dans les familles d’origine turque pratiquant les mariages forcés.
  • Une préoccupation particulière accordée au mariage des filles car sur celles-ci repose « l’honneur de la famille ». En effet, dans ces familles, le mariage des filles semble représenter l’aboutissement de l’éducation qui leur a été donnée. Une fille doit se marier jeune, avec une personne choisie pour elle, et surtout, elle doit préserver sa virginité jusqu’au mariage. De ces conditions, dépend la préservation de la réputation familiale. Les adolescentes rencontrées au GAMS relatent, pour la majorité d’entre-elles, les pressions et les obligations auxquelles elles ont été soumises du fait de leur statut de femme. « Ne t’habille pas comme cela, qu’est-ce que les gens vont dire ! », « Tu ne dois pas sortir pour d’autres raisons que l’école, les filles ne doivent pas traîner dehors ! », « Ne parle pas aux garçons, sinon les gens vont dire que tu es une pute et nous serons déshonorés ! ». Dans le même registre, leur opposition au mariage organisé par la famille les rend suspectes d’avoir « fauté » et responsables de la honte familiale. « Pourquoi ne veux-tu pas te marier, tu n’es plus vierge ? C’est ça ? » « Tu fréquentes quelqu’un et c’est pour ça que tu ne veux pas de l’homme que nous t’avons choisi ? » « Si tu ne te maries pas, les gens vont dire que tu es une sale fille ! » « Nous sommes déshonorés par ta faute ! »… L’obsession de la virginité des filles, tout comme la crainte d’une grossesse hors mariage, ou les possibles rumeurs colportées sur les filles de la famille, semblent être des raisons courantes de l’organisation de mariages forcés. La confrontation de ces familles traditionnalistes avec la permissivité française (réelle ou fantasmée) est aussi au centre des justifications données par les parents : « Tu veux être une pute comme les françaises, c’est ça ? » « Tu dis que tu veux te marier avec quelqu’un que tu aimes, mais quand il t’aura quittée et que tu seras seule avec tes enfants, comment feras-tu ? »
  • Les pressions exercées par des membres de la famille sur les parents. En effet, la famille restée au pays d’origine peut faire valoir l’obligation de « solidarité » avec ceux immigrés en France : «  Maries ta fille à mon fils, comme cela il pourra lui aussi venir en France. Si tu ne le fais pas, tu ne te montres pas loyal. ». De la même manière, des mariages ont pu être conclu dans la toute petite enfance de la fille, si ce n’est in-utero, avec son cousin. Si à l’âge adulte, cet engagement n’est pas respecté, les parents de la fille risquent de « perdre la face » car ils ne respectent pas la parole donnée « Ce qui est dit est dit, et on ne doit pas revenir dessus ».
  • La volonté de « remettre les enfants dans le droit chemin » est parfois une raison invoquée par les parents pour organiser un mariage forcé. Ainsi, une fille surprise à fumer des cigarettes, ou suspectée d’entretenir une relation avec un garçon, pourrait subir un mariage dans le but de « freiner sa décadence ». « Mes parents ne supportent pas que je travaille et que je rentre parfois tard à cause de mes horaires décalés. Ils disent que je traine et que j’en profite pour voir des garçons. C’est pour ça qu’ils veulent me marier, ils ont peur pour leur réputation. ». Dans le même registre, des garçons ont pu être victimes d’un mariage forcé parce que, petits délinquants, les parents s’imaginaient qu’un mariage allait les « calmer ». Un garçon ou une fille suspecté.e.s d’homosexualité pourront se voir contraint.e.s à un mariage dans le but d’éviter les possibles rumeurs.

Les mariages forcés et/ou précoces que nous dénonçons aujourd’hui auprès de nombreuses institutions et nombreux acteurs sociaux  sont loin d’être une « innovation ». Nous savons que les unions décidées, organisées et imposées par la famille ont existé dans la plupart des sociétés, tout comme elles persistent encore aujourd’hui dans une grande partie du monde. Cependant, il apparait que ce type de mariage, tel qu’il existe aujourd’hui dans les sociétés occidentales, relève de motivations et de préoccupations spécifiques. Rappelons toutefois que, si les mariages forcés et/ou précoces ne sont plus la règle, ni la norme en France, du fait de différents bouleversement et progrès sociaux, il a tout de même fallu attendre la loi du 4 avril 2006 pour que l’âge « nubile » des filles passe de 15 ans à 18 ans, comme pour les garçons…

Au fil de nos entretiens avec les jeunes filles, nous questionnons les raisons, selon elles et selon ce qu’elles en ont compris, de la décision de leurs parents de les contraindre à un mariage. Quelle que soit l’origine de ces derniers, de grandes lignes communes peuvent être dessinées :

  • Un fonctionnement traditionnel impliquant que le projet matrimonial est, avant toute chose, une « affaire familiale », avec la volonté de respecter une manière de faire perçue comme séculaire. « C’est comme ça qu’on a toujours fait chez nous… », « C’est aux parents de choisir quand et avec qui les enfants doivent se marier… ». Ce fonctionnement traditionnel implique d’une manière très marquée l’idée que les enfants « appartiennent » aux parents et à la famille. Le choix individuel, tout comme la prise d’autonomie des enfants devenus adultes, semblent alors être rejetés au profit de la volonté familiale et de sa cohésion. La situation migratoire est ici prégnante car l’éloignement avec la société d’origine déclenche parfois un repli identitaire. Le mariage forcé des jeunes serait alors un « acte d’allégeance » à la famille restée au pays, aux coutumes et aux traditions, même si ces dernières sont en diminution dans les régions d’origine. Ainsi, certaines filles que nous accompagnons, nous racontent que « leurs cousines, au Bled, ont pu choisir leurs époux ». En mariant leurs enfants contre leur gré, certaines familles veulent marquer que malgré l’exil, malgré la distance, elles conservent leur identité « de départ », et qu’elles ne sont pas assimilées à la société française.
  • La crainte des parents de voir leurs enfants (et particulièrement leurs filles) nouer des relations amoureuses et/ou conjugales avec des personnes issues d’une autre origine. En effet, nombre de ces parents semblent redouter, dans le contexte pluriculturel français, des mariages mixtes, qui aboutiraient selon eux à une acculturation, une dissolution de l’identité familiale et à une « perte de contrôle » de la famille sur le couple. C’est pourquoi les jeunes filles que nous recevons, doivent épouser des personnes « exactement » de la même origine ethnique, géographique, religieuse, tout comme les systèmes de castes doivent être respectés (Afrique subsaharienne et Inde). Ces parents semblent avoir parfaitement conscience du fait que la société dans laquelle évoluent leurs enfants, implique que ceux-ci fréquentent des jeunes issus de milieux très divers et que, ainsi, les « mésalliances » sont un risque non négligeable. C’est pourquoi des mariages sont organisés rapidement, parfois de manière précoce, avec une personne « triée sur le volet », souvent un cousin (ou une cousine) proche ou éloigné(e). « Si tu te maries avec quelqu’un de différent de nous, tu perdras ta culture, ta religion… ». « On ne peut pas faire confiance aux autres, on ne les connait pas… ». « Si tu as un différend avec ton mari et qu’on ne connait pas sa famille, comment régler ce problème ? » Ce système de mariage endogame est parfois accompagné d’une volonté de renforcer l’attachement à la culture « d’origine » par « l’injection de sang neuf », illustré notamment par « l’importation de brus ou de gendres» très usitée dans les familles d’origine turque pratiquant les mariages forcés.
  • Une préoccupation particulière accordée au mariage des filles car sur celles-ci repose « l’honneur de la famille ». En effet, dans ces familles, le mariage des filles semble représenter l’aboutissement de l’éducation qui leur a été donnée. Une fille doit se marier jeune, avec une personne choisie pour elle, et surtout, elle doit préserver sa virginité jusqu’au mariage. De ces conditions, dépend la préservation de la réputation familiale. Les adolescentes rencontrées au GAMS relatent, pour la majorité d’entre-elles, les pressions et les obligations auxquelles elles ont été soumises du fait de leur statut de femme. « Ne t’habille pas comme cela, qu’est-ce que les gens vont dire ! », « Tu ne dois pas sortir pour d’autres raisons que l’école, les filles ne doivent pas traîner dehors ! », « Ne parle pas aux garçons, sinon les gens vont dire que tu es une pute et nous serons déshonorés ! ». Dans le même registre, leur opposition au mariage organisé par la famille les rend suspectes d’avoir « fauté » et responsables de la honte familiale. « Pourquoi ne veux-tu pas te marier, tu n’es plus vierge ? C’est ça ? » « Tu fréquentes quelqu’un et c’est pour ça que tu ne veux pas de l’homme que nous t’avons choisi ? » « Si tu ne te maries pas, les gens vont dire que tu es une sale fille ! » « Nous sommes déshonorés par ta faute ! »… L’obsession de la virginité des filles, tout comme la crainte d’une grossesse hors mariage, ou les possibles rumeurs colportées sur les filles de la famille, semblent être des raisons courantes de l’organisation de mariages forcés. La confrontation de ces familles traditionnalistes avec la permissivité française (réelle ou fantasmée) est aussi au centre des justifications données par les parents : « Tu veux être une pute comme les françaises, c’est ça ? » « Tu dis que tu veux te marier avec quelqu’un que tu aimes, mais quand il t’aura quittée et que tu seras seule avec tes enfants, comment feras-tu ? »
  • Les pressions exercées par des membres de la famille sur les parents. En effet, la famille restée au pays d’origine peut faire valoir l’obligation de « solidarité » avec ceux immigrés en France : «  Maries ta fille à mon fils, comme cela il pourra lui aussi venir en France. Si tu ne le fais pas, tu ne te montres pas loyal. ». De la même manière, des mariages ont pu être conclu dans la toute petite enfance de la fille, si ce n’est in-utero, avec son cousin. Si à l’âge adulte, cet engagement n’est pas respecté, les parents de la fille risquent de « perdre la face » car ils ne respectent pas la parole donnée « Ce qui est dit est dit, et on ne doit pas revenir dessus ».
  • La volonté de « remettre les enfants dans le droit chemin » est parfois une raison invoquée par les parents pour organiser un mariage forcé. Ainsi, une fille surprise à fumer des cigarettes, ou suspectée d’entretenir une relation avec un garçon, pourrait subir un mariage dans le but de « freiner sa décadence ». « Mes parents ne supportent pas que je travaille et que je rentre parfois tard à cause de mes horaires décalés. Ils disent que je traine et que j’en profite pour voir des garçons. C’est pour ça qu’ils veulent me marier, ils ont peur pour leur réputation. ». Dans le même registre, des garçons ont pu être victimes d’un mariage forcé parce que, petits délinquants, les parents s’imaginaient qu’un mariage allait les « calmer ». Un garçon ou une fille suspecté.e.s d’homosexualité pourront se voir contraint.e.s à un mariage dans le but d’éviter les possibles rumeurs.

En cela, ils doivent être combattus. Mais la raison principale de notre engagement (tout comme des institutions et d’autres associations spécialisées) est que les mariages forcés représentent des violences exercées à l’encontre des femmes et que ces violences sont graves et inacceptables. Nous pouvons affirmer que l’ensemble des jeunes filles et des jeunes femmes que nous avons accompagnées et accompagnons dans le cadre de nos permanences ont été ou sont encore victimes de violences, psychologiques, physiques et/ou matérielles.

Avant le mariage

La stratégie de contrainte utilisée par les parents et la famille repose essentiellement sur :

  • La pression affective, « C’est pour ton bien, écoute tes parents… », « Si tu es une fille respectueuse, tu dois nous obéir. » ;
  • Le harcèlement moral, avec une répétition quotidienne de la volonté familiale ;
  • La culpabilisation et la « parentification »  des enfants, « De ton mariage dépend l’honneur de la famille », « Ton père me divorcera si tu refuses de te marier à cet homme. », « Je vais tomber malade et mourir si tu refuses… » ;
  • La menace du reniement, « Si tu ne te maries pas, tu n’es plus notre fille », « Si tu ne maries pas, nous te mettrons à la porte » ;
  • La dévalorisation, « Tu n’es qu’une incapable, personne ne voudra de toi si tu n’épouses pas cet homme », « Tu n’es rien si tu ne suis pas la volonté familiale, tu ne pourras pas t’en sortir » ;
  • Des violences psychologiques ;
  • Des violences physiques et matérielles (parents qui coupent l’eau chaude lorsque leur fille prend une douche, interdiction de manger à table avec le reste de la famille, suppression de l’argent donné pour la cantine, etc.).

Les modes opératoires choisis par les parents et les familles s’avèrent terriblement efficaces. Deux tiers des jeunes femmes que nous recevons viennent nous rencontrer alors qu’elles ne sont pas encore mariées mais sont victimes de harcèlement moral, de pressions psychologiques et de violences physiques dans le but de les contraindre au mariage. Leur positionnement quant à ce mariage est généralement tout à fait clair : elles n’en veulent pas et sont complètement paniquées. Leur refus de se marier, certaines l’ont clairement affirmé à leurs parents et toutes se sont vues répondre « Ce n’est pas toi qui décides, tu te marieras que tu le veuilles ou non ! » et ont parfois subi des maltraitances venant punir leur refus. D’autres n’osent tout simplement pas « dire non » car l’éducation qu’elles ont reçue rend tout à fait inenvisageable de signifier ouvertement leur refus. Toutes craignent de « faire du mal à leur parents », « de les déshonorer », et plus simplement, de les perdre. Dans un renversement classique de la responsabilité, beaucoup s’en veulent de ne pas être de « bonnes filles » et de faire de la peine à leur famille.

Un fait ressort clairement de l’analyse des différentes situations que nous avons rencontrées : la communication entre les enfants et les parents est le plus souvent impossible et la parole de « l’enfant », même devenu adulte, n’est pas écoutée. C’est pour cela que, bien souvent, les jeunes femmes envisagent le départ comme unique « solution » pour éviter le mariage. Mais ce départ que nous préparons avec elles et d’autres partenaires est parfois impossible. Il est en effet bloqué par la crainte révérencielle des filles à l’égard de leurs parents. Ces jeunes femmes subissent alors un mariage forcé.

Les violences dans le mariage

Le mariage forcé, qu’il soit civil, religieux ou coutumier, aboutit toujours à des violences exercées sur les femmes, notamment du fait de la cohabitation avec leur « mari » :

  • Des viols, puisque le mariage devra être consommé et que ces rapports sexuels ne sont pas consentis. Ces viols ne sont généralement pas reconnus comme tels par les parents de la jeune femme : « C’est ton mari, tu dois coucher avec lui! » ;
  • Des violences conjugales apparaissant parce que la jeune femme refusent les rapports sexuels, se montre « insolente », ne remplit pas son rôle de ménagère ou encore ne veut pas rompre les relations avec ses ami.e.s. Ces violences sont le plus souvent minimisées par les parents de la jeune femme, qui refusent alors de lui venir en aide, ou de « casser » le mariage : « S’il t’a frappé, c’est que tu l’avais mérité, les hommes ont le droit de frapper leur femme lorsqu’elle désobéit » ;
  • Des grossesses non-désirées, parfois précoces, issues de viols, qui rendent difficiles la construction du lien mère-enfant et peut aboutir à des maltraitances et des négligences à l’égard de l’enfant : « Cela fait 10 ans que j’ai quitté mon mari, j’aime mon fils mais quand je le regarde, je vois la tête de cet homme qui m’a violée si longtemps » ;
  • Des violences exercées par la belle-famille et parfois, une « mise en esclavage domestique » : « Pendant 2 ans, je ne suis pas sortie, sauf pour porter les paniers de ma belle-mère lorsqu’elle allait au marché. Je devais tout faire à la maison et ma belle-mère me frappait régulièrement » ;
  • Des séquestrations à l’étranger, au domicile du mari ou de la belle-famille en France : « Je pensais partir en vacances. Là bas, mon père m’a confisqué mon passeport. J’ai été mariée et je ne suis rentrée en France qu’après 2 ans. J’avais déjà un enfant » ;
  • IST (Infections Sexuellement Transmissibles) ou VIH contractés à cause des viols du mari.

Les mariages forcés et/ou précoces que nous dénonçons aujourd’hui auprès de nombreuses institutions et nombreux acteurs sociaux  sont loin d’être une « innovation ». Nous savons que les unions décidées, organisées et imposées par la famille ont existé dans la plupart des sociétés, tout comme elles persistent encore aujourd’hui dans une grande partie du monde. Cependant, il apparait que ce type de mariage, tel qu’il existe aujourd’hui dans les sociétés occidentales, relève de motivations et de préoccupations spécifiques. Rappelons toutefois que, si les mariages forcés et/ou précoces ne sont plus la règle, ni la norme en France, du fait de différents bouleversement et progrès sociaux, il a tout de même fallu attendre la loi du 4 avril 2006 pour que l’âge « nubile » des filles passe de 15 ans à 18 ans, comme pour les garçons…

Au fil de nos entretiens avec les jeunes filles, nous questionnons les raisons, selon elles et selon ce qu’elles en ont compris, de la décision de leurs parents de les contraindre à un mariage. Quelle que soit l’origine de ces derniers, de grandes lignes communes peuvent être dessinées :

  • Un fonctionnement traditionnel impliquant que le projet matrimonial est, avant toute chose, une « affaire familiale », avec la volonté de respecter une manière de faire perçue comme séculaire. « C’est comme ça qu’on a toujours fait chez nous… », « C’est aux parents de choisir quand et avec qui les enfants doivent se marier… ». Ce fonctionnement traditionnel implique d’une manière très marquée l’idée que les enfants « appartiennent » aux parents et à la famille. Le choix individuel, tout comme la prise d’autonomie des enfants devenus adultes, semblent alors être rejetés au profit de la volonté familiale et de sa cohésion. La situation migratoire est ici prégnante car l’éloignement avec la société d’origine déclenche parfois un repli identitaire. Le mariage forcé des jeunes serait alors un « acte d’allégeance » à la famille restée au pays, aux coutumes et aux traditions, même si ces dernières sont en diminution dans les régions d’origine. Ainsi, certaines filles que nous accompagnons, nous racontent que « leurs cousines, au Bled, ont pu choisir leurs époux ». En mariant leurs enfants contre leur gré, certaines familles veulent marquer que malgré l’exil, malgré la distance, elles conservent leur identité « de départ », et qu’elles ne sont pas assimilées à la société française.
  • La crainte des parents de voir leurs enfants (et particulièrement leurs filles) nouer des relations amoureuses et/ou conjugales avec des personnes issues d’une autre origine. En effet, nombre de ces parents semblent redouter, dans le contexte pluriculturel français, des mariages mixtes, qui aboutiraient selon eux à une acculturation, une dissolution de l’identité familiale et à une « perte de contrôle » de la famille sur le couple. C’est pourquoi les jeunes filles que nous recevons, doivent épouser des personnes « exactement » de la même origine ethnique, géographique, religieuse, tout comme les systèmes de castes doivent être respectés (Afrique subsaharienne et Inde). Ces parents semblent avoir parfaitement conscience du fait que la société dans laquelle évoluent leurs enfants, implique que ceux-ci fréquentent des jeunes issus de milieux très divers et que, ainsi, les « mésalliances » sont un risque non négligeable. C’est pourquoi des mariages sont organisés rapidement, parfois de manière précoce, avec une personne « triée sur le volet », souvent un cousin (ou une cousine) proche ou éloigné(e). « Si tu te maries avec quelqu’un de différent de nous, tu perdras ta culture, ta religion… ». « On ne peut pas faire confiance aux autres, on ne les connait pas… ». « Si tu as un différend avec ton mari et qu’on ne connait pas sa famille, comment régler ce problème ? » Ce système de mariage endogame est parfois accompagné d’une volonté de renforcer l’attachement à la culture « d’origine » par « l’injection de sang neuf », illustré notamment par « l’importation de brus ou de gendres» très usitée dans les familles d’origine turque pratiquant les mariages forcés.
  • Une préoccupation particulière accordée au mariage des filles car sur celles-ci repose « l’honneur de la famille ». En effet, dans ces familles, le mariage des filles semble représenter l’aboutissement de l’éducation qui leur a été donnée. Une fille doit se marier jeune, avec une personne choisie pour elle, et surtout, elle doit préserver sa virginité jusqu’au mariage. De ces conditions, dépend la préservation de la réputation familiale. Les adolescentes rencontrées au GAMS relatent, pour la majorité d’entre-elles, les pressions et les obligations auxquelles elles ont été soumises du fait de leur statut de femme. « Ne t’habille pas comme cela, qu’est-ce que les gens vont dire ! », « Tu ne dois pas sortir pour d’autres raisons que l’école, les filles ne doivent pas traîner dehors ! », « Ne parle pas aux garçons, sinon les gens vont dire que tu es une pute et nous serons déshonorés ! ». Dans le même registre, leur opposition au mariage organisé par la famille les rend suspectes d’avoir « fauté » et responsables de la honte familiale. « Pourquoi ne veux-tu pas te marier, tu n’es plus vierge ? C’est ça ? » « Tu fréquentes quelqu’un et c’est pour ça que tu ne veux pas de l’homme que nous t’avons choisi ? » « Si tu ne te maries pas, les gens vont dire que tu es une sale fille ! » « Nous sommes déshonorés par ta faute ! »… L’obsession de la virginité des filles, tout comme la crainte d’une grossesse hors mariage, ou les possibles rumeurs colportées sur les filles de la famille, semblent être des raisons courantes de l’organisation de mariages forcés. La confrontation de ces familles traditionnalistes avec la permissivité française (réelle ou fantasmée) est aussi au centre des justifications données par les parents : « Tu veux être une pute comme les françaises, c’est ça ? » « Tu dis que tu veux te marier avec quelqu’un que tu aimes, mais quand il t’aura quittée et que tu seras seule avec tes enfants, comment feras-tu ? »
  • Les pressions exercées par des membres de la famille sur les parents. En effet, la famille restée au pays d’origine peut faire valoir l’obligation de « solidarité » avec ceux immigrés en France : «  Maries ta fille à mon fils, comme cela il pourra lui aussi venir en France. Si tu ne le fais pas, tu ne te montres pas loyal. ». De la même manière, des mariages ont pu être conclu dans la toute petite enfance de la fille, si ce n’est in-utero, avec son cousin. Si à l’âge adulte, cet engagement n’est pas respecté, les parents de la fille risquent de « perdre la face » car ils ne respectent pas la parole donnée « Ce qui est dit est dit, et on ne doit pas revenir dessus ».
  • La volonté de « remettre les enfants dans le droit chemin » est parfois une raison invoquée par les parents pour organiser un mariage forcé. Ainsi, une fille surprise à fumer des cigarettes, ou suspectée d’entretenir une relation avec un garçon, pourrait subir un mariage dans le but de « freiner sa décadence ». « Mes parents ne supportent pas que je travaille et que je rentre parfois tard à cause de mes horaires décalés. Ils disent que je traine et que j’en profite pour voir des garçons. C’est pour ça qu’ils veulent me marier, ils ont peur pour leur réputation. ». Dans le même registre, des garçons ont pu être victimes d’un mariage forcé parce que, petits délinquants, les parents s’imaginaient qu’un mariage allait les « calmer ». Un garçon ou une fille suspecté.e.s d’homosexualité pourront se voir contraint.e.s à un mariage dans le but d’éviter les possibles rumeurs.

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En cela, ils doivent être combattus. Mais la raison principale de notre engagement (tout comme des institutions et d’autres associations spécialisées) est que les mariages forcés représentent des violences exercées à l’encontre des femmes et que ces violences sont graves et inacceptables. Nous pouvons affirmer que l’ensemble des jeunes filles et des jeunes femmes que nous avons accompagnées et accompagnons dans le cadre de nos permanences ont été ou sont encore victimes de violences, psychologiques, physiques et/ou matérielles.

 

Avant le mariage

La stratégie de contrainte utilisée par les parents et la famille repose essentiellement sur :

  • La pression affective, « C’est pour ton bien, écoute tes parents… », « Si tu es une fille respectueuse, tu dois nous obéir. » ;
  • Le harcèlement moral, avec une répétition quotidienne de la volonté familiale ;
  • La culpabilisation et la « parentification »  des enfants, « De ton mariage dépend l’honneur de la famille », « Ton père me divorcera si tu refuses de te marier à cet homme. », « Je vais tomber malade et mourir si tu refuses… » ;
  • La menace du reniement, « Si tu ne te maries pas, tu n’es plus notre fille », « Si tu ne maries pas, nous te mettrons à la porte » ;
  • La dévalorisation, « Tu n’es qu’une incapable, personne ne voudra de toi si tu n’épouses pas cet homme », « Tu n’es rien si tu ne suis pas la volonté familiale, tu ne pourras pas t’en sortir » ;
  • Des violences psychologiques ;
  • Des violences physiques et matérielles (parents qui coupent l’eau chaude lorsque leur fille prend une douche, interdiction de manger à table avec le reste de la famille, suppression de l’argent donné pour la cantine, etc.).

Les modes opératoires choisis par les parents et les familles s’avèrent terriblement efficaces. Deux tiers des jeunes femmes que nous recevons viennent nous rencontrer alors qu’elles ne sont pas encore mariées mais sont victimes de harcèlement moral, de pressions psychologiques et de violences physiques dans le but de les contraindre au mariage. Leur positionnement quant à ce mariage est généralement tout à fait clair : elles n’en veulent pas et sont complètement paniquées. Leur refus de se marier, certaines l’ont clairement affirmé à leurs parents et toutes se sont vues répondre « Ce n’est pas toi qui décides, tu te marieras que tu le veuilles ou non ! » et ont parfois subi des maltraitances venant punir leur refus. D’autres n’osent tout simplement pas « dire non » car l’éducation qu’elles ont reçue rend tout à fait inenvisageable de signifier ouvertement leur refus. Toutes craignent de « faire du mal à leur parents », « de les déshonorer », et plus simplement, de les perdre. Dans un renversement classique de la responsabilité, beaucoup s’en veulent de ne pas être de « bonnes filles » et de faire de la peine à leur famille.

Un fait ressort clairement de l’analyse des différentes situations que nous avons rencontrées : la communication entre les enfants et les parents est le plus souvent impossible et la parole de « l’enfant », même devenu adulte, n’est pas écoutée. C’est pour cela que, bien souvent, les jeunes femmes envisagent le départ comme unique « solution » pour éviter le mariage. Mais ce départ que nous préparons avec elles et d’autres partenaires est parfois impossible. Il est en effet bloqué par la crainte révérencielle des filles à l’égard de leurs parents. Ces jeunes femmes subissent alors un mariage forcé.

 

 

Les violences dans le mariage

Le mariage forcé, qu’il soit civil, religieux ou coutumier, aboutit toujours à des violences exercées sur les femmes, notamment du fait de la cohabitation avec leur « mari » :

  • Des viols, puisque le mariage devra être consommé et que ces rapports sexuels ne sont pas consentis. Ces viols ne sont généralement pas reconnus comme tels par les parents de la jeune femme : « C’est ton mari, tu dois coucher avec lui! » ;
  • Des violences conjugales apparaissant parce que la jeune femme refusent les rapports sexuels, se montre « insolente », ne remplit pas son rôle de ménagère ou encore ne veut pas rompre les relations avec ses ami.e.s. Ces violences sont le plus souvent minimisées par les parents de la jeune femme, qui refusent alors de lui venir en aide, ou de « casser » le mariage : « S’il t’a frappé, c’est que tu l’avais mérité, les hommes ont le droit de frapper leur femme lorsqu’elle désobéit » ;
  • Des grossesses non-désirées, parfois précoces, issues de viols, qui rendent difficiles la construction du lien mère-enfant et peut aboutir à des maltraitances et des négligences à l’égard de l’enfant : « Cela fait 10 ans que j’ai quitté mon mari, j’aime mon fils mais quand je le regarde, je vois la tête de cet homme qui m’a violée si longtemps » ;
  • Des violences exercées par la belle-famille et parfois, une « mise en esclavage domestique » : « Pendant 2 ans, je ne suis pas sortie, sauf pour porter les paniers de ma belle-mère lorsqu’elle allait au marché. Je devais tout faire à la maison et ma belle-mère me frappait régulièrement » ;
  • Des séquestrations à l’étranger, au domicile du mari ou de la belle-famille en France : « Je pensais partir en vacances. Là bas, mon père m’a confisqué mon passeport. J’ai été mariée et je ne suis rentrée en France qu’après 2 ans. J’avais déjà un enfant » ;
  • IST (Infections Sexuellement Transmissibles) ou VIH contractés à cause des viols du mari.