Le « tarling » est la musique la plus populaire à Java. Sur un rythme entraînant des chanteuses en minijupes et bardées de talismans racontent les « amours déçues » des femmes de la région.
- Tempo | Heru Triyono | 8 novembre 2012
Sur une scène de onze mètres sur onze, Yuliana n’arrête pas de se déhancher tout en chantant son hit : Danse démente. Le martèlement des gongs et du tambour à double face fracasse la nuit. Vêtue d’une extra-mini-jupe, Yuliana est acclamée par les cris et les sifflements coquins de centaines de spectateurs du village de Sabawan, dans la région de Tegal, Java Centre.
Mais patience, Yuliana n’est qu’un avant-goût. La vedette de la soirée, Diana Sastra, monte sur scène dans un nuage de fumées multicolores. Son nom court sur toutes les lèvres et la foule, spontanément, entonne son tube : Glauque de glauque. Cette chanson raconte le destin d’une fille tombée dans le piège de la prostitution dans un tripot sordide afin d’envoyer de l’argent à ses parents.
A l’approche de minuit, l’ambiance s’enflamme. Des hommes montent sur scène avec des liasses de billets de 1000 roupies [8 centimes d’euros] ou de 100 000 roupies [8 euros] qu’ils glissent dans la main de la chanteuse, ou dans sa robe pour les plus audacieux. La guerre des allumeurs commence. Chaque fois qu’un spectateur glisse un billet, la chanteuse clame son nom à tue-tête, comme pour rendre les autres jaloux, si bien qu’ils rivalisent pour allumer la fille à coups de billets pour qu’elle crie leur nom et les flatte en les appelant “boss“.
Les groupes de tarling sont loués pour des cérémonies de mariage ou de circoncision
Si c’est un vendeur de riz, on l’appellera le boss du riz. Si c’est un propriétaire de magasin à Tegal, on l’appellera le boss du “magteg“. Ce soir-là, tous les allumeurs sont des boss. Mais tous ne sont pas des hommes. Les femmes s’enhardissent aussi, sous les yeux émerveillés des enfants. Comme Mamayuna, une mère de 35 ans qui glisse un billet de 100 000 roupies.
Ces deux dernières décennies, le tarling est devenu la musique la plus populaire sur la côte nord de Java, surtout à Cirebon et Indramayu. Les concerts se multiplient quand vient la saison des moissons. Les chanteuses sont alors invitées pour animer les fêtes de fertilité, les mariages et jusqu’aux cérémonies de circoncision. Pourtant, louer un groupe de tarling n’est pas bon marché. Pour faire venir une chanteuse de la classe de Diana Sastra, il faut pouvoir aligner entre 18 et 25 millions de roupies [de 1700 à 2300 euros].
Khadijah, une commerçante de 52 ans, a déjà invité trois fois un groupe de tarling : « Ça m’a coûté chaque fois entre 9 et 19 millions de roupies » [entre 730 et 1550 euros], se vante cette femme dont le cou et les poignets scintillent de bijoux en or. Inviter un groupe de tarling, c’est non seulement afficher son statut social mais aussi faire parler de soi dans toute la région.
Le tarling – élision de guitare et suling (flûte) – est né dans le village de Kepandean à Indramayu, Java Ouest. Un jour de l’année 1931, un certain Antonio demande à un villageois dénommé Mang Sakim, musicien de gamelan [percussion traditionnel] de lui réparer sa guitare acoustique de fabrication espagnole. La guitare réparée, Antonio ne vient pas la chercher. Mang Sakim ne profite pour apprendre à en jouer tente de l’accorder dans la gamme pentatoniques du gamelan. Son fils poursuit l’expérience et découvre que les chants populaires d’Indramayu, jusque-là accompagnés par le gamelan, gagnent en beauté avec la guitare à laquelle s’ajoute bientôt une flûte en bambou.
Au début, les paroles s’inspiraient de la poésie orale de la ville de Cirebon. Aujourd’hui, elles racontent les amours et les problèmes des femmes pauvres de la côte nord de Java dont la culture est de se marier jeune, de divorcer aussi vite ou de subir la polygamie.
Pour s’assurer une carrière explosive, les chanteuses de tarling ont recours à un arsenal de pratiques magiques, tels que des implants ou un charme vocal. Les implants sont de minuscules éclats d’or ou de diamant de 3 à 4 millimètres cubes introduits par un spécialiste dans quinze à vingt points du corps de la chanteuse, tels que le visage, les lèvres, les seins, les fesses et jusqu’aux organes intimes.
Coût de l’opération : entre 10 et 13 millions de roupies (800 à 1100 euros). Pour implanter ces talismans, le magicien utilise l’énergie intérieure générée par des mouvements d’arts martiaux. “Ce n’est pas vraiment difficile“, affirme Busthomi Azmatkhan, un praticien du village de Sinarancang, près de Cirebon. Il raconte que l’opération commence par un exorcisme, sous forme de bain rituel. A minuit, roulée nue dans un drap, la chanteuse est aspergée sept fois par une eau chargée de mantras.
D’après Busthomi, le pouvoir des implants expire au bout de trois ans. Si on veut prolonger leur temps d’activité, il faut procéder à un nouvel exorcisme. Sinon, ils conseillent aux chanteuses de les leur ôter. Parce qu’un implant qui meurt dans le corps peut entraver la circulation de l’énergie : “L’énergie devient alors négative. La chanteuse peut tomber malade, voir même devenir paralysée », précise le magicien. « Mais quand les charmes sont à leur puissance maximale, même une feuille qui tombe d’un arbre suspendra sa chute en plein ciel pour écouter la voix envoûtante. »
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2012/11/08/dansez-vous-le-tarling
2 réponses sur « Dansez-vous le "tarling" ? »
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