Par Andréane Williams, 15 octobre 2014
L’hyménoplastie, vous connaissez? Cette chirurgie de reconstruction de l’hymen sauve l’honneur de bien des femmes, au Québec comme ailleurs. Mais elle perpétue aussi des traditions que plusieurs jugent rétrogrades. Regard sur une opération simple qui divise.
Depuis quatre ans, dans sa clinique de Laval, le Dr Mario Luc permet à des jeunes femmes de retrouver leur virginité grâce à l’hyménoplastie. En seulement 30 minutes, il recoud la fine membrane de peau située à l’entrée du vagin. « J’ai commencé à offrir ce service parce qu’il y avait une demande. Ça ne m’a pas vraiment surpris, car Montréal est une ville très multiculturelle »
, explique le chirurgien plastique, qui pratique environ 25 opérations du genre par année.
Les patientes du Dr Luc sont majoritairement originaires du Moyen-Orient, de l’Afrique musulmane et de l’Asie. En quatre ans, seulement deux Québécoises « de souche » ont eu recours à ses services. Selon le chirurgien, chaque patiente a une histoire différente, mais elles ont toutes un point en commun : la culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles avant le mariage. Généralement âgées entre 20 et 30 ans, elles sont issues de familles traditionnelles qui réprouvent les rapports sexuels hors des liens stricts de l’union religieuse. Elles espèrent sauver leur honneur grâce à l’opération.« Certaines ont été violées; l’hyménoplastie les aide à surmonter le traumatisme. D’autres ont vécu une relation à long terme et pensaient qu’elles marieraient l’homme avec qui elles avaient des rapports, ce qui n’a pas eu lieu. Ce sont des femmes très anxieuses par rapport à leur futur conjoint et à leur famille. Quand elles viennent me voir, c’est parce qu’elles ne savent pas comment venir à bout de ce problème »
, explique le Dr Luc.
Tout petit, mais garant de l’honneur
L’hymen occupe toujours une grande importance dans de nombreuses cultures. Dans certains pays du Moyen-Orient, d’Afrique ou d’Asie, avoir des relations sexuelles hors mariage peut mener jusqu’au crime dit d’honneur. À preuve, le 28 juin dernier au Liban, un jeune homme a assassiné sa sœur par balles après avoir trouvé un message texte compromettant sur le téléphone de cette dernière.
Pour la sexologue libanaise Sandrine Atallah, ce drame illustre bien comment l’honneur d’une femme est essentiellement lié à la virginité. « Des femmes m’appellent en me demandant comment savoir si elles sont toujours vierges, et comment y remédier si elles ne le sont plus. Quand une femme veut subir une hyménoplastie, c’est parce que son futur mari n’acceptera pas de l’épouser s’il sait qu’elle n’est pas vierge. C’est une question d’honneur, raconte la sexologue. Chez nous, cette pratique a cours chez les musulmans comme chez les chrétiens. Et plus on s’éloigne des villes, plus les gens sont attachés à ces traditions. »
« Quand une femme veut subir une hyménoplastie, c’est parce que son futur mari n’acceptera pas de l’épouser s’il sait qu’elle n’est pas vierge. C’est une question d’honneur. Chez nous, cette pratique a cours chez les musulmans comme chez les chrétiens. »
— Sandrine Atallah, sexologue libanaise
Le gynécologue et chirurgien libanais Farid Bedran, dont la clinique est située en banlieue de Beyrouth, pratique la chirurgie de reconstruction de l’hymen depuis 25 ans. Selon lui, bien que le recours à cette opération demeure un phénomène isolé au Liban, le nombre de femmes qui la subissent n’a pas diminué malgré la libéralisation des mœurs. « Ce n’est pas notre pain quotidien, dit-il. J’en fais une tous les deux mois. Ça n’a pas changé. Le profil des femmes non plus n’a pas changé. Elles sont en général d’un niveau socioéconomique moyen ou moins que moyen, mais elles sont éduquées et elles travaillent. Elles viennent d’un milieu assez conservateur. »
Tourisme médical
Le chirurgien canadien Martin Jugenburg pratique régulièrement des reconstructions de l’hymen au Cosmetic Surgery Institute de Toronto. Et constate que la métropole n’échappe pas au phénomène. « Plusieurs personnes ici ont des croyances traditionnelles. Beaucoup marient des hommes qui viennent d’autres pays où la virginité est essentielle et où le fait de ne plus être vierge a des conséquences très négatives pour les femmes. Je ne crois pas que cette opération perpétue un contrôle de la sexualité des femmes, ni les inégalités entre les sexes. Je vois plutôt cette opération comme un moyen pour ces femmes d’intégrer la culture de leur choix »
, soutient-il.
Toronto est d’ailleurs devenu une destination privilégiée pour les Canadiennes et les étrangères désirant avoir recours à cette chirurgie.« C’est l’une des villes les plus multiculturelles au monde. Ajoutons à cela une culture assez ouverte par rapport à la chirurgie esthétique. C’est sans doute ce qui pousse les femmes à venir ici pour se faire opérer, et ce qui a permis à la ville de se forger une réputation internationale en la matière »
, explique le Dr Jugenburg, qui ajoute que le nombre de demandes est stable.
En Europe et au Maghreb, des agences spécialisées en tourisme médical offrent quant à elles des forfaits tout inclus pour se faire opérer dans des pays comme la Tunisie ou le Liban, où les prix sont considérablement moins élevés. Des agences basées en Tunisie, par exemple, offrent des séjours tout compris pour environ 1 000 euros (1 455 $ CA). Au Canada, une hyménoplastie coûte entre 3 000 et 3 500 $, comparativement à environ 700 $ au Liban.
Farid Bedran dit recevoir régulièrement des patientes de la Tunisie, du Maroc et des pays du Golfe. « Elles viennent au Liban en raison de notre notoriété et de notre expérience médicale. Elles profitent du pays par la même occasion »
, relate-t-il en mentionnant qu’au Liban, aucune loi ne régit ce genre d’opération.
Chirurgie controversée
Pour Michel Dorais, sociologue et spécialiste du genre et des sexualités, cet acte médical soulève des questions éthiques. « Cette pratique est issue de traditions et de cultures où la virginité de la femme est considérée comme un bien. J’utilise le terme bien, parce qu’un bien, ça se vend, ça s’achète et ça se restaure. Cela pose donc la question : À qui appartient le corps des femmes? »
dit-il.
« Cette pratique est issue de traditions et de cultures où la virginité de la femme est considérée comme un bien. J’utilise le terme bien, parce qu’un bien, ça se vend, ça s’achète et ça se restaure. Cela pose donc la question : À qui appartient le corps des femmes? »
— Michel Dorais, sociologue et spécialiste du genre et des sexualités
Et l’importance de la virginité n’est pas une valeur étrangère aux cultures occidentales, souligne-t-il. « Si, au Québec et au Canada, l’hyménoplastie n’est pas une tradition, l’hymen artificiel existe depuis longtemps. C’est une petite poche qui contient un composé qui ressemble à du sang; la femme se l’insère dans le vagin juste avant la relation sexuelle pour simuler la perte de sang. Ce subterfuge était courant dans la royauté chrétienne. Ça fait longtemps que les hommes veulent être sûrs que leurs enfants sont bien les leurs. »
Le Dr Adel Louafi, qui travaille à Paris, est conscient des critiques que peut soulever ce genre de chirurgie. Il refuse cependant de juger les femmes qui y ont recours. « C’est difficile à comprendre pour quelqu’un qui n’a jamais été en contact direct avec ces patientes et qui ne voit pas leur souffrance. Comme médecin, la question qu’on doit se poser est : Quel est le bénéfice psychologique attendu par rapport au risque encouru par l’intervention chirurgicale? Dans ce cas, le niveau de risque est très limité et le bénéfice psychologique est énorme. Ça aide ces femmes à passer à autre chose. »
Le Dr Mario Luc croit quant à lui que ce n’est pas au médecin de juger des motivations de ses patientes. « Je ne fais que répondre à leurs besoins. Quelle est l’autre option? Ne pas offrir le service? Dire à une jeune femme que ses valeurs n’ont pas de bon sens et lui conseiller d’aller voir une travailleuse sociale? »
s’interroge-t-il.
Pour la sexologue libanaise Sandrine Atallah, aucun doute, les opérations comme l’hyménoplastie sont la conséquence directe de la pression sociale dont les femmes sont toujours victimes. « Ici, des femmes acceptent des rapports anaux pour éviter le rapport vaginal. C’est un concept très souple de la virginité. En Occident, une personne vierge n’a eu aucune pratique sexuelle »
, explique Sandrine Atallah. Elle ajoute que l’hymen n’est pas toujours une preuve de virginité puisque certaines femmes naissent avec un hymen plus souple (qui « résistera » à une relation sexuelle), ou peuvent le rompre en faisant du sport.
« Effacer » une faute de jeunesse, retrouver une seconde virginité : pour la plupart des femmes, l’hyménoplastie est une épreuve qu’elles doivent affronter seules. « Elles ne nous expliquent pas toujours clairement leurs motivations. C’est un peu comme un avortement; cela fait partie des choses que les femmes gardent pour elles »
, explique le Dr Luc. Une réalité appelée à subsister, selon Michel Dorais. « Tant que les femmes auront l’impression d’être choisies par les hommes, ça ne changera pas. »
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L’avis du CSF (Conseil du statut de la femme du Québec)
L’hyménoplastie s’inscrit dans la culture de l’honneur, qui valorise la virginité avant le mariage. Comme l’explique l’auteure de l’avis Les crimes d’honneur : de l’indignation à l’action, publié par le Conseil du statut de la femme en octobre 2013, dans plusieurs pays, des jeunes femmes recourent à l’hyménoplastie la veille de leur nuit de noces. Voici un extrait :
« De marginale qu’elle était, cette chirurgie plastique de reconstruction de l’hymen est devenue très populaire au Moyen-Orient, et la demande pour cette opération mineure, mais très lucrative pour les médecins, s’est accrue en Europe comme au Canada. […] Malgré son coût relativement élevé (autour de 3 000 $), il semble que l’efficacité de cette opération quant à l’effet attendu ne soit pas garantie. En effet, le saignement à la rupture de l’hymen, que la mariée doit produire comme preuve de sa virginité, n’est pas toujours au rendez-vous. […] Il est intéressant de souligner que l’hyménoplastie s’inscrit aujourd’hui dans le cadre plus général des chirurgies plastiques visant le remodelage du corps des femmes, en fonction de critères esthétiques dictés par les impératifs de la mode et du marché. Après le remodelage du nez, des seins et des cuisses, la “chirurgie esthétique du vagin”, lancée aux États-Unis — qui comprend le remodelage des grandes et des petites lèvres, du vagin et du clitoris —, répond à de nouveaux critères esthétiques dictés par l’industrie pornographique. Entre le contrôle du corps des femmes au nom de l’honneur et son contrôle par les forces du marché, au nom d’une fausse notion de liberté individuelle, l’intégrité des femmes s’en trouve menacée. »
Pour consulter le résumé de l’avis, c’est ici.
Source : http://www.gazettedesfemmes.ca/10229/virginite-a-recoudre/