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L’artiste Owanto (à droite) et sa fille Katya Berger. © Kevin Horn
C’est en tombant sur les photos d’une cérémonie d’excision que l’artiste Owanto a voulu s’engager contre ces mutilations qui touchent 200 millions de femmes dans le monde. Portrait sensible.
Sur les sexes mutilés d’adolescentes, sur leurs visages graves en noir et blanc, Owanto appose des fleurs délicates et fières. Son geste veut effacer et réparer des blessures infligées à des gamines anonymes soixante-dix ans plus tôt. Des sexes, des fleurs, la symbolique est puissante : elle est à la mesure du choc qu’Owanto, artiste franco-gabonaise, a ressenti lorsqu’elle a découvert dans les affaires familiales onze photos anciennes qui ont fait d’elle une a(rt)ctiviste. Aucune indication quant au lieu – vraisemblablement l’Afrique Èquatoriale française – ni sur la date. Seul le format trahit l’époque. Mais c’est bien un rite de passage à l’âge adulte qui a été documenté. Une « cérémonie » à l’issue de laquelle ces fillettes sont, selon la coutume, devenues des femmes, « pures », présentables, épousables parce que excisées. Deux scènes jettent l’effroi : l’instant où, la main armée d’un couteau, la « coupeuse », accroupie entre les jambes d’une gamine maintenue dos au sol, s’apprête à « officier » devant une assemblée stoïque ; et l’instant d’après, où une toute jeune fille, photographiée plein cadre, assise par terre, nue, tête baissée, prostrée dans sa douleur, regarde sa blessure et son sang couler.
« JE N’AI PAS SUPPORTÉ DE VOIR ÇA »
« Je n’ai pas supporté de voir ça, déclare Owanto. Je ne m’attendais pas à trouver cela dans les affaires de mon père, même si m’est revenu le vague souvenir d’avoir entendu parler de ces mutilations, qui n’ont jamais été pratiquées dans ma famille. Mon père était un entrepreneur français, ma mère était gabonaise, ils ont vécu au Nigeria puis au Gabon, que j’ai quitté à l’adolescence. À l’époque, seuls les colons possédaient des appareils photo ; papa avait un ami médecin, sa fonction l’aurait autorisé à assister à ce type de cérémonie. Moi, j’ai très vite remis ces images dans ce que j’appelle symboliquement le ‘tiroir de l’oubli’, là d’où elles venaient précisément, choquée par cette violence et ce voyeurisme. Puis j’ai réalisé que ces photos du passé me parlaient du présent, d’une réalité qui touche encore trop de femmes, privées de leur droit à disposer de leur corps. À ce moment-là, en tant qu’artiste, j’ai interprété comme un signe le fait que ces images me soient parvenues. Alors j’ai scanné ces minuscules tirages et les ai agrandis sur une plaque d’aluminium de 2 mètres sur 3. Mais je ne pouvais pas les montrer dans leur crudité. Les fleurs en porcelaine froide que je place dans les œuvres m’ont aidée à lever mes peurs de femme africaine quant aux réactions des communautés. Elles évacuent la violence et le voyeurisme, enlèvent la blessure, apportent la guérison. Elles me permettent de raconter une autre histoire, et invitent le spectateur à s’interroger sans détourner le regard. Bien sûr, il y a la charge symbolique et sémantique de la fleur, qui évoque le sexe, la virginité, l’érotisme. Mais c’est aussi la jeune fille, délicate, fragile, qui va éclore, s’épanouir et qu’il ne faut pas couper. »
« La Jeune Fille à la fleur (Flowers II) », 2015. © Courtesyof Owanto Studio
Après des études de lettres et de philosophie et une première vie professionnelle, Yvette (son prénom de naissance), au tournant des années 1980, se retire dans la campagne andalouse. Silence, solitude, spiritualité. À 27 ans, elle se décide artiste, ex nihilo. « J’ai été élevée par deux femmes fortes, ma grand-mère maternelle et ma mère. Quand j’ai commencé à peindre, j’ai dit à ma mère : je veux m’appeler comme toi. Elle s’appelait Owanto Bia (la belle femme, en langue myènè). Un nouveau nom, une nouvelle vie, choisie. C’était important et évident pour moi. Le symbole de mon engagement envers l’Afrique, aussi. Je retourne plusieurs fois par an au Gabon, au Burkina Faso, au Congo, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud au gré de mes expos et de mes projets artistiques. »
CHAQUE ANNÉE, PLUS DE 3 MILLIONS DE JEUNES FILLES SONT MENACÉES
Avec « The Lighthouse of Memory (Go Nogé Mènè) », Owanto fut la première artiste de l’Afrique subsaharienne invitée à exposer à la Biennale de Venise, en 2009, où elle représentait le Gabon. Son œuvre « La Jeune Fille à la fleur » a rejoint le fonds permanent du Zeitz Mocaa, le plus important musée consacré à l’art contemporain africain, inauguré au Cap, en Afrique du Sud, en septembre dernier. « Il a été conçu comme un espace pacifié où toutes les revendications politiques et sociales peuvent s’exprimer », indique Owanto. Elle y sera le 6 février pour participer à une conférence, dans le cadre de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines (MGF) placée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. L’Unicef recensait en 2016 plus de 200 millions de victimes de mutilations dans trente pays africains, du Moyen-Orient et de l’Asie où ces pratiques sont concentrées. Mais la migration des populations met en danger les femmes partout, y compris sur les continents américain et européen. Ces mutilations sont pratiquées le plus souvent avant l’âge de 15 ans. Chaque année, plus de 3 millions de jeunes filles sont menacées. Et si quarante et un pays criminalisent les MGF, les lois n’ont pas encore partout l’effet escompté, rappelle Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d’Onu Femmes.
Des chiffres qui ont poussé Owanto à imaginer avec Katya Berger, sa fille, jeune journaliste et productrice formée aux Ètats-Unis où elle vit, un nouveau projet entre art et activisme. « Notre projet s’appelle One Thousand Voices. À Katya de les trouver, explique Owanto. L’objectif est de recueillir des témoignages partout où les MGF sont pratiquées. Nous avons déjà recueilli des récits dans seize pays (Iran, Kenya, Tanzanie, Somali-land, Èrythrée, Inde, Grande-Bretagne, Ètats-Unis, Gambie, Mauritanie…) de femmes de 14 à 40 ans. » Les témoignages sont incroyablement divers : de cette Indienne immigrée de la communauté bohra, où c’est une tradition, à cette Somalienne de 39 ans, stérile à la suite de ses blessures, en passant par cette Américaine, blanche, chrétienne, de 70 ans, excisée par un médecin parce qu’elle se masturbait. Les histoires se ressemblent : ce ne sont pas les hommes qui mutilent, les « cutters » sont les mères, les tantes, les grands-mères, des sages-femmes, qui se conforment au diktat masculin, perpétuant une pratique pour que leurs filles puissent se marier.
À Londres, les hôpitaux Queen Charlotte et St. Mary, où les victimes consultent pour des troubles post-mutilations ou des reconstructions, relaient le projet d’Owanto et de Katya. Et encouragent les femmes à laisser leur témoignage sonore sur leur site. Avec ces mille voix, Katya créera un immense chœur aux tonalités différentes, sur fond de vieux disque qui craque, pour dire que oui, il est temps de changer de disque. Le projet ultime est de juxtaposer les œuvres d’Owanto et le collage sonore de Katya. Regarder et écouter, mais pas en même temps. « On cheminera dans la vie de ces femmes comme si on les rencontrait, comme si on entrait en confidences avec elles. » Les hommes ? « Nous ne devons pas les exclure, sinon ça ne changera pas ou pas assez vite, pense Owanto. Lorsque j’ai exposé à Paris en octobre, un Camerounais, en pleurs devant mes œuvres, m’a remerciée et m’a confié que son amie avait subi ça, qu’elle ne ressentait plus rien… et qu’il ne savait pas quoi faire. »
« Flowers IV », 2015. © Courtesy of Owanto Studio
ET EN FRANCE ?
On estime le nombre de victimes entre 53 000 et 60 000. Le 25 novembre, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Emmanuel Macron a promis « de traquer partout ceux qui pratiquent cette barbarie ». rappelons que les mutilations sont punies de dix à vingt ans de prison. alerte-excision.org. tél. : 119 ou 3919.
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