Perpétuation de l'excision
La communauté d’origine exerce sur les émigrés en France une très forte pression sociale. Elle peut s’exprimer de diverses manières et elle constitue un facteur déterminant de la perpétuation de la pratique de l’excision.
1. Domination masculine et soumission des femmes
Une des raisons souvent évoquées par les hommes pour expliquer le maintien de cette pratique est que c’est « une affaire de femmes » et que, de ce fait, ils n’ont pas leur mot à dire.
Les hommes ne veulent pas selon leurs dires « être complices de cette pratique » puisque « ce sont les femmes qui décident ». Les femmes diraient aux hommes que « c’est [leur] problème, cela ne [les] regarde pas. »
Mais si l’on interroge les femmes, on entend dire que « toutes les femmes sont sous la domination du mari et elles doivent obéir ». Pourtant, il est indéniable qu’en grande majorité, en dépit de leurs affirmations, les hommes sont informés de cette pratique. En fait, ils contribuent à son maintien, en refusant d’épouser des femmes non excisées.
Ils la perpétuent également en payant les services des exciseuses. Comment peut-on imaginer que la majorité des femmes africaines immigrées en France puissent rémunérer les services d’une exciseuse alors qu’elles n’ont pas d’autonomie financière ? En effet, en général, elles n’ont pas accès à l’argent du ménage, le mari se chargeant des dépenses et du budget.
Toutefois, il est vrai que traditionnellement, en Afrique, dans certaines sociétés, du fait de la différenciation de genre (femme-homme), il était sans doute inconcevable que les hommes puissent intervenir dans le maintien ou le rejet de cette pratique.
En revanche, même pour les personnes les plus convaincues que « c’est l’affaire des femmes », il ne fait cependant aucun doute que l’homme est à l’origine de cette pratique afin de contrôler la sexualité féminine.
Enfin, en plus de cette domination intégrée par certaines femmes comme normale, il ne faut pas négliger la pression de la communauté villageoise qui s’exerce sur les femmes comme sur les hommes.
2. Excision et communauté villageoise
Toutes les personnes qui se sont interrogées sur la réalité et la perpétuation de cette pratique sont arrivées au constat suivant : sans la pression du groupe social d’origine, du groupe de référence, et plus particulièrement la pression des anciens, la pratique de l’excision aurait sans doute depuis longtemps disparu.
Cette très forte pression sociale exercée par le milieu d’origine s’exprime selon des modes divers. Car partir est une rupture temporaire avec le village en tant qu’unité résidentielle, mais non avec la communauté d’origine que l’on retrouve à Montreuil, aux Mureaux et ailleurs.
Ainsi la pression sociale, le poids de la tradition, des coutumes, qui sont sans doute les arguments les plus récurrents, se traduisent parfois par la peur que les enfants puissent être excisées contre la volonté des parents biologiques, à l’initiative des grands-parents, voire d’un autre membre aîné de la famille, souvent une sœur, restés en Afrique.
Toutefois, suivant l’origine rurale ou urbaine des intéressés, le temps passé en France, le degré d’intégration, le recul vis-à-vis de l’éducation traditionnelle, la soumission à la famille est plus ou moins forte.
Même si l’excision est pratiquée suivant des modalités spécifiques selon les sociétés, même si elle est présente dans des systèmes symboliques et des formations sociales différentes, à partir de l’observation contemporaine de son application, nous pouvons retenir trois grands types d’arguments : coutumiers, religieux et sociologiques.
1. Raisons d’ordre coutumier
Interrogés sur les raisons pour lesquelles se perpétue cette pratique, les migrants africains sub-sahariens, originaires de sociétés rurales et d’un faible niveau scolaire, n’ont d’autres arguments que d’invoquer la coutume.
« Cela s’est toujours fait, ma mère, ma grand-mère l’ont fait, donc mes enfants seront excisées. »
Cette explication se suffit en soi.
Les personnes invoquant ce type d’argument sont souvent celles dont le discours et les pratiques témoignent d’une plus grande soumission à la pression sociale. Ces migrants ne désirent pas s’intégrer, de peur qu’en acceptant en partie les règles de la société d’accueil, il n’y ait plus de retour possible. Retour qui serait physiquement réalisable, mais socialement inacceptable. De surcroît, il occasionnerait une trop grande souffrance sociale.
Par ailleurs, bien souvent lorsqu’il s’agit des femmes immigrées, les revenus du ménage ne leur permettant pas des voyages fréquents en Afrique, surtout en cas de polygamie, elles n’y retournent qu’après une période assez longue, à savoir de huit à dix ans.
En revanche, leurs maris y retournent plus souvent et surtout plus régulièrement, soit tous les deux à trois ans. Toutefois, ces derniers, surtout dans le cas des sociétés Soninké et Toucouleur, ne sont traditionnellement pas informés des rites qui entourent la pratique de l’excision.
Par conséquent, c’est à l’épouse que l’on demande si ses filles ont été « coupées » et non au conjoint. Mais des changements ont pu se produire durant l’absence de ces femmes, changements qui ont pu conduire au recul notable de la pratique de l’excision dans leur société d’origine, donc à la disparition de la nécessité de s’y conformer. Des campagnes nationales de lutte contre cette pratique existent dorénavant dans de nombreux pays africains.
De surcroît, du fait de l’exode rural, beaucoup de familles vivent désormais en ville, et au même titre que l’immigration provoque un phénomène d’acculturation, la vie citadine modifie les conduites.
Autrement dit, les femmes et les hommes africains émigrés vivent souvent dans une espèce de nostalgie de l’Afrique, qui n’est plus tout à fait celle qu’ils ont quittée, ni tout à fait celle qu’ils retrouveront. En fait, leur désir de revendication et d’affirmation d’une identité africaine, en quelque sorte stéréotypée, les conduit à maintenir dans l’immigration des pratiques telles que l’excision, cette dernière étant sans doute amenée à disparaître plus rapidement en Afrique que dans les pays d’émigration comme la France.
2. Raisons d’ordre religieux
L’excision, tout comme l’infibulation, est pratiquée par des animistes, des catholiques, des coptes, des juifs, des musulmans, des protestants, dans les pays concernés.
Nombreuses sont les familles qui mettent en avant une prescription religieuse des mutilations sexuelles féminines. Il n’y a en a aucune. D’ailleurs, il est prouvé que les pratiques mutilatoires ont précédé l’apparition des religions dites du Livre.
Chez les musulmans notamment, cette coutume a souvent été perpétrée dans la croyance sincère, mais erronée, qu’elle était réclamée par le culte islamique et pratiquée en fonction de cette tradition. Pourtant le Coran ne dit mot de l’excision.
3. Raisons d’ordre sociologique
Même s’ils savent que l’excision n’est pas recommandée par le Coran, les migrants africains musulmans invoquent toutefois des « valeurs coraniques » comme la virginité des jeunes filles et la chasteté des épouses pour la perpétuer.
Les hommes, en particulier, voient dans l’excision un moyen de garantir :
- l’honneur de la famille : l’excision permettrait de conserver la virginité des jeunes filles jusqu’au mariage, en prévenant le désir sexuel et, par conséquent une expérience sexuelle prénuptiale.
- l’honneur du mari : l’excision réduirait le désir sexuel des femmes, qui, frustrées par la polygamie, ne seraient pas tentées d’avoir des relations adultérines.
Pour les femmes, c’est surtout un moyen d’éduquer les filles afin qu’elles restent « sages », et bien sûr, qu’elles se marient.
En effet, une des raisons les plus fréquemment évoquées par les mères africaines pour justifier l’excision de leur fille est que, non excisée, elle ne trouverait pas à se marier.
Or, en Afrique, le célibat implique l’impossibilité pour une femme d’accéder à la reconnaissance sociale en devenant mère. Dans la majorité des sociétés pratiquant l’excision, le statut de la femme est subordonné au nombre d’enfants qu’elle mettra au monde.
De plus, si les mères africaines sont si attachées à cette notion de mariage, c’est qu’elles font référence au mariage endogame. En effet, ces femmes migrantes vivent toujours dans la perspective « d’un retour au pays ». Elles ne peuvent envisager pour leur fille qu’un mariage avec le mari que la famille lui aura choisi.