En Éthiopie, Awra Amba, le village de l’égalité entre femmes et hommes

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Terriennes/TV5 Monde | Le 09/11/2014 | Par Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti, texte et © photos

Au cœur de l’un des pays les plus pauvres du monde, l’Ethiopie, un village bouscule les traditions archaïques qui régissent la société. Depuis quarante ans, les quatre cents membres de la communauté ont abandonné droit coutumier et patriarcat, pour faire de la femme l’égale absolue de l’homme. Découverte d’une utopie bien réelle. Reportage.

 

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A Awra Amba, les adolescentes poursuivent leurs études © Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti

11h30, une foule de jeunes sort de la petite école du village. Livres de biologie à la main, ils n’ont que quelques dizaines de mètres à parcourir pour rentrer chez eux, après avoir esquivé âne, chèvres et bœufs. Pas de longs périples pour aller étudier, c’est plutôt rare dans le pays. Mais à Awra Amba, au cœur des collines verdoyantes de la région Amhara, à 500 km au nord de la capitale Addis Abeba, nous ne sommes pas tout à fait en Ethiopie. Le village avec ses maisons en torchis surplombés de toits de chaume, son sol en terre brune et ses petits champs de céréales, ressemble pourtant à ses voisins. Au premier abord seulement, car ici les scènes étonnantes ne manquent pas à l’image de ces hordes de jeunes adolescentes, sourires aux lèvres, quittant la classe. Une révolution dans un Etat où moins de la moitié des filles accèdent à l’école primaire.

Tshehay Gemar a fini ses études, un baccalauréat en poche suivi d’une formation d’institutrice. A vingt ans, elle s’occupe du jardin d’enfants et de sa trentaine de tout-petits, garçons et filles, qui prennent place tous les matins sur les bancs en pierre de la salle de classe. Le confort est spartiate, les jeux peu nombreux, et les quelques livres destinés à l’apprentissage de lecture sont en français ou en néerlandais, apportés par des visiteurs de temps à autre. Mais l’endroit n’en demeure pas moins unique. « Dans la région, des enfants de trois ans se retrouvent à la tête d’un troupeau de vaches, toute la journée. Ils ne reçoivent aucune éducation. A Awra Amba, ils n’ont pas la même vie« , explique Tshehay, devant une armée de bambins au garde-à-vous, à qui l’on enseigne avant tout la discipline. L’institutrice en blouse blanche hausse pourtant rarement la voix, mais sa grande taille et sa carrure impressionnent les enfants, qui prennent très au sérieux leurs journées d’études. « Je leur répète que l’école constitue ce qu’il y a de plus important pour eux, leur chance principale. Moi, ça a changé ma vie. »

 

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Tshehay Gemar, 20 ans, l’institutrice des tout-petits, toujours célibataire comme elle l’a souhaité © Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti

Liberté du corps et de l’esprit

Ailleurs dans le pays, les filles de son âge ont déjà un époux, plusieurs enfants et ne peuvent plus étudier depuis bien longtemps. Tshehay, elle, n’a même pas encore de petit ami, une liberté impensable en terre amhara. Car bien que le Code de la famille éthiopien ait fixé en 2001 l’âge légal du mariage à la majorité, 18 ans, la pratique des unions précoces demeure très commune et on estime qu’une fille sur deux est mariée avant 15 ans, souvent avec un homme beaucoup plus vieux. Une pratique dont s’est débarrassée la communauté d’Awra Amba, en désacralisant l’union maritale. Ni fête, ni dot (cause principale des mariages précoces, puisque celle-ci augmente avec l’âge de la fille) : le mariage ne consiste qu’en la signature d’un document officiel, et ce, en raison d’un règlement propre au village, à partir de 19 ans pour les filles et de 20 pour les garçons (jugés moins matures), sans que les familles aient voix au chapitre. De quoi garantir un avenir moins sombre aux fillettes et réduire également la prévalence du Sida.

Les très jeunes épouses sont en effet, selon l’Unicef, plus exposées au risque de contracter des infections sexuellement transmissibles par un partenaire malade (appareil génital pas encore formé, tissus qui se déchirent plus facilement), un risque d’infection multiplié par l’excision. Alors que dans le pays le nombre de malades, en baisse constante ces dernières années, demeure élevé, ici on affirme avec fierté que personne n’est contaminé…

 

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Trusew Fente, 30 ans, tisseuse exerce un métier autrefois réservé aux hommes © Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti

Trissew Fente s’est mariée dans les règles à dix-neuf ans, avec un garçon de sa génération. Aujourd’hui âgée d’une trentaine d’années, la jeune femme est mère de trois enfants et n’envisage pas de tomber enceinte à nouveau. Et pour cause, à Awra Amba on ne fait pas plus de trois ou quatre enfants, le territoire n’est pas extensible. Trissew prend donc la pilule, comme un quart seulement des femmes en Ethiopie. Mais le planning familial est loin d’être la seule avancée du village. Sans tabou, la mère de famille évoque également un fléau national : « Chez nous, il n’y a pas d’excision. Nous ne pratiquons pas cela sur nos filles, car lors des accouchements, cela pose plein de problèmes et beaucoup de femmes meurent à cause des mutilations de leur enfance. » Si depuis 2005 l’excision est condamnable en Ethiopie, l’Unicef estime toutefois que plus de 70% des 40 millions de femmes éthiopiennes en sont encore victimes, l’un des plus forts taux du monde.

« Faire un travail de femme ne change pas mon sexe. Cela change mon ignorance »

« Les gens en Ethiopie nous prennent souvent pour des fous, mais ce sont leurs coutumes qui sont mauvaises« , renchérit Trissew tout en s’affairant sur son métier à tisser en bois. Car la mère de famille est aussi tisserande, activité d’ordinaire réservée à la gente masculine en Afrique. La besogne est physique mais la jeune femme, petite et menue, s’en sort aussi bien que les hommes à ses côtés dans la grande salle de tissage du village. « Il n’y a pas de métier d’homme ni de métier de femme. Si j’ai la capacité physique de tisser, alors je tisse! Pourquoi une femme serait incapable d’avoir de la force ?« 

A Awra Amba, les tâches ne se répartissent pas selon le sexe, mais en fonction des capacités de chacun. Visions surréalistes pour le pays, on croise ici ou là des femmes maniant la charrue pour labourer la terre, des hommes en train de faire prendre le bain aux enfants ou de préparer l’injera (crêpe à base d’une céréale locale, le teff, caractéristique de la cuisine éthiopienne). Avec certaines limites toutefois : « Les enfants n’aiment pas l’injera de mon mari, ils la trouvent beaucoup moins bonne que la mienne! Je préfère qu’il se contente de préparer la sauce, je m’occupe du reste. Il n’y a pas de chef à la maison, sauf dans la cuisine ! » précise, amusée, Trissew dont le mari oeuvre sur une machine à coudre dans une petite usine de textile d’une ville voisine. « Faire un travail de femme ne change pas mon sexe. Cela change mon ignorance« , l’une des devises de la communauté, prend tout son sens.

Cette phrase c’est Zumra Nuru, un paysan analphabète, qui en est l’auteur. Chapeau vert fluo toujours vissé sur le crâne, l’homme approche les soixante-dix ans. Awra Amba c’est lui. La légende veut qu’il ait conçu son utopie dans son enfance, témoin des inégalités entre sa mère et son père.

 

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Zumra Nuru, le fondateur de la communauté, inspirateur de cette nouvelle organisation sociale © Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti

Un modèle qui fait peur

Mais ce n’est qu’en 1972 qu’il donne corps à sa vision et engrange quelques compagnons. Les débuts sont difficiles, Zumra souhaite s’émanciper des carcans religieux, orthodoxe et musulman, tous deux présents dans la région. Il prône une religiosité nouvelle, un dieu unique, appelé simplement « Créateur ». Sans lieu de culte, car pour lui la foi est de l’ordre du privé, ce qui lui vaut l’hostilité des villages voisins qui le perçoivent comme un danger pour l’équilibre social. La communauté est chassée et menacée de mort. Errance et famine réduisent ses rangs et il faudra attendre l’an 2000 pour que le gouvernement reconnaisse leur droit à la terre. Depuis, la communauté ne cesse de s’agrandir et se compose aujourd’hui d’une centaine de familles, toutes séduites par le mode de vie de Zumra Nuru.

« La solidarité est l’un de nos principes les plus importants. C’est pour cela que nous travaillons en coopératives. Que ce soit pour le tissage ou l’agriculture, tout le monde se partage à égalité les bénéfices à la fin de l’année« , explique le paysan philosophe, assis au pied du grand arbre qui domine la place du village. La communauté ne reconnaît aucun jour férié et l’organisation de la semaine est précise : cinq jours sont dévolus au travail coopératif, une journée à l’aide aux vieillards, qui disposent d’une petite maison de retraite, et le septième jour est libre. « Nous avons connu tellement de difficultés pour vivre en liberté que nous travaillons tout le temps, pour ne pas perdre ce que nous avons« .

 

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A Awra Amba, garçons et filles choisissent librement leur partenaire © Daphnée Breytenbach et Ismaël Mereghetti

 

Avec le temps, les relations avec les voisins se sont apaisées et ceux-ci viennent même utiliser le moulin à grain du village. Mais la présence du garde armé qui suit en permanence Zumra traduit encore une certaine méfiance de la part du fondateur d’Awra Amba. « Les gens de la région n’ont pas envie de voir nos idées s’appliquer chez eux, même s’ils nous respectent de plus en plus. Beaucoup considèrent que nous ne faisons pas partie de la culture éthiopienne. Les choses bougent dans le pays, mais la route est encore très longue.« 

Malgré des progrès constants dans la réduction des écarts de genre, selon le Forum économique mondial en 2013, l’Ethiopie restait au 118e rang (sur 136) du classement sur l’égalité des sexes.

 

Une vie quotidienne en apparence si ordinaire et pourtant extraordinaire

 

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