« Pourquoi refuses-tu la tradition ? » | Enquête sur les ravages de l’excision en Éthiopie

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Article de GRAZIA | Par Lise Martin | Le

L’EXCISION CONTINUE DE FAIRE DES RAVAGES EN ETHIOPIE. DANS LE NORD-EST DU PAYS, UNE ASSOCIATION TENTE D’ÉDUQUER LES FEMMES ET LEURS PROCHES POUR QUE CESSE CETTE PRATIQUE. NOUS SOMMES ALLÉS SUR LE TERRAIN.

 

La scène de théâtre à laquelle ils viennent d’assister a eu son petit effet. Zahra Mohamed les couve d’un oeil satisfait. Accroupie à l’ombre de l’école, elle commente : « Dans la vraie vie, c’est souvent comme ça, il y a beaucoup de débats entre les mères et les accoucheuses traditionnelles, au sein des couples, avec les grands-mères… » Devant le succès de la représentation, la jeune femme de 20 ans, menue mais décidée, ne réprime plus un fier petit sourire.

 

DES TAUX RECORDS D’EXCISION DES FEMMES

Zahra est salariée de l’ Afar Community Initiative Sustainable Development Association (Acisda). Son rôle : sensibiliser la population aux conséquences des mutilations génitales féminines du « warda » de Talalak, un district de la zone 5, en région Afar. Proche de Djibouti, cette région musulmane du nord de l’Ethiopie bat des records en termes de taux d’excision des femmes : plus de neuf sur dix ont subi l’infibulation, une mutilation de type 3, la plus sévère.

Dans cette zone, précisément, l’opération a lieu, le plus souvent dans de piètres conditions d’hygiène, dans les vingt-quatre heures suivant la naissance. « Les habitants croient que l’excision préservera la fille de toute tentation, c’est comme une ceinture de chasteté, en quelque sorte« , souligne Marie-Hélène Boko Meaux, coordinatrice de Médecins du Monde (MDM) pour l’Ethiopie. Depuis 2014, l’ONG mène un projet de sensibilisation en partenariat avec Acisda, une structure locale.

 

EXPLIQUER LES DRAMATIQUES CONSÉQUENCES DE CETTE PRATIQUE

Jusqu’à fin 2017, une quinzaine de salariés vont parcourir les 57 « kebeles », les villages, plus ou moins grands, que compte la zone. Objectif ? Expliquer aux parents, aux professionnels de santé et aux leaders religieux les conséquences de cette pratique sur la santé des femmes : hémorragies lors de l’opération, difficultés à uriner, rapports sexuels douloureux, accouchements délicats… jusqu’à la mort, parfois.

En région Afar, la mortalité infantile est estimée à 127 pour 1 000, soit l’un des taux les plus élevés du monde. Et 801 femmes sur 100 000 meurent durant leur accouchement – contre 673 en moyenne en Ethiopie. Mais sur fond de tradition tenace (la pratique remonterait à l’époque des pharaons !) et de croyances religieuses bien ancrées (certains sont persuadés, à tort, que le Coran recommande l’excision), la mission se révèle complexe.

 

UNE COUTUME INTERDITE PAR LA LOI

Dans le vieux pick-up qui le mène vers un village voisin, à quelques kilomètres de piste, Ashenafi Astatike, le coordinateur d’Acisda, se confie : « Ça va être difficile de tout arrêter d’un coup. Il faut prendre le temps, s’adresser à certains groupes comme les élèves, les instituteurs, les jeunes mères ou les imams, pour faire passer le message.« 

Avec assurance, il affirme que la pratique est en recul depuis quelques mois. « Environ un quart des petites ne sont plus excisées », dit-il. Dans le hameau qu’il vient visiter, difficile de vérifier son affirmation. Assise sur l’unique lit d’une maison ronde en torchis, Medina Damis, 40 ans, se rappelle les nombreuses excisions qu’elle a pratiquées : « Le bébé pleurait, il y avait beaucoup de sang. » Mais elle le jure, elle n’a plus opéré « depuis au moins dix ans« .

Et sur ses trois filles, seules les deux premières seraient « kantarmali » (littéralement « sans clitoris », c’est-àdire excisées). Pourquoi a-t-elle arrêté d’officier en tant qu’ « oulatina » ? « J’ai compris les complications que ça engendrait pour les femmes, répond Medina.Et puis j’ai peur. On nous espionne, des agents de santé, des employés du village. C’est interdit, ils pourraient nous dénoncer. Il y a quelques mois, une famille de Dawe est allée en prison parce que la petite fille était morte après l’opération…« 

 

« ÇA SE PRATIQUE EN CACHETTE »

A Dawe, justement, confortablement installée dans la maison d’une amie devant un verre de café noir, Zahra Mohamed commente : « Il y a une loi depuis dix ans, alors les femmes n’osent plus dire qu’elles le font encore. Ça se pratique en cachette. » La jeune femme, qui étudie le management le week-end en plus de son travail pour Acisda, confie la difficulté de sa tâche : « Dans les villes, on m’écoute, mais dans la brousse, avec les nomades, c’est très compliqué. Beaucoup ne veulent pas comprendre. J’essaie de les convaincre sans me décourager.« 

Zahra glisse une note d’espoir : « Ce qui est nouveau, c’est que certains veulent bien comprendre que ce n’est pas bien. Je connais même une petite fille, Roukia, qui est née il y a deux mois et que ses parents ont décidé de ne pas mutiler. » Elle-même est excisée. Et si elle n’a pas souffert de graves complications, nombre de ses amies ont vécu l’enfer : « L’une d’elles ne pouvait même pas aller aux toilettes sans souffrir. Elle a fini à l’hôpital. » Et si elle devait avoir des filles ? Un claquement de langue convaincu et un grand geste de la main font office de réponse : pas question ! « J’ai compris, quand je suis venue à la ville depuis mon petit village, que ça pouvait être autrement. J’ai rencontré des filles d’autres ethnies, des Oromos, des Amharas. Maintenant, je sais… »

UNE NÉCESSITÉ D’AVOIR LE SOUTIEN DES IMAMS

Demain, elle reprendra sa mission : « Même quand on me dit que je ne suis pas une bonne musulmane, je continue. » De fait, le rôle des imams reste flou. Pakiza Goulamaly, la sage-femme française recrutée par Médecins du Monde en septembre dernier pour assister les professionnels de santé sur place, et assurer leur formation, a remarqué que « tous ne sont pas au clair sur cette question ; certains ne se prononcent pas, d’autres affirment que l’islam recommande ces mutilations. C’est pourtant très important qu’ils s’engagent à nos côtés. » Alors que la nuit tombe et que le muezzin de la mosquée se fait entendre, Pakiza se réjouit : « Demain, lors de la cérémonie, certains leaders religieux seront présents.« 

Le lendemain matin, une foule d’habitants a envahi la salle des fêtes. C’est un des rares bâtiments en dur de Dawe, un grand hall aux murs ocre. La chaleur étouffante est à peine atténuée par quelques ventilateurs qui tournent péniblement. Les enfants se délectent de Miranda, le Fanta local, les hommes ont revêtu leur « mesnef », le pagne traditionnel, et les femmes se sont regroupées dans un coin pour assister à ce grand moment.

 

« CONTINUER, MÊME SI ÇA DOIT PRENDRE DIX OU VINGT ANS »

C’est la première fois qu’un engagement officiel est pris pour annoncer l’abandon de la pratique. Au pupitre défilent les représentants du warda, des kebeles, du centre de santé… Tous disent qu’il faut se défaire de cette « mauvaise habitude ». Les officiels signent même un contrat avec l’équipe de Médecins du Monde. « Une cérémonie ne suffira pas, tempère Zahra, assise près de la scène. Ça ne va pas marcher dès demain, mais on va continuer, même si ça prend dix ou vingt ans. »

Rencontrée deux jours plus tôt, dans son vaste bureau d’Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, Zenebu Tadesse, la ministre des Femmes, donne la version officielle : « Nous nous sommes engagés à ce que ces pratiques soient éliminées d’ici à 2025 dans tout le pays. Pour cela, il faut éduquer et donner les moyens aux femmes de protéger leurs droits, c’est un long parcours.« 

 

LA PEUR DE NE PAS TROUVER DE MARI

Pour Margaux Herman, chercheuse au Centre français des études éthiopiennes (CFEE), cet horizon de 2025 paraît intenable, « d’autant qu’ici, les statistiques ne sont pas du tout fiables« . Mais sur le fond, elle approuve le constat : « Le problème, c’est la place des femmes dans cette société. Si elles ne sont pas excisées, elles ont peur de ne pas trouver de mari. Leur faire comprendre que ce n’est pas une nécessité sociale, c’est une vraie révolution des mentalités. Il faut éduquer les filles, leur prouver qu’elles peuvent réussir socialement par elles-mêmes.« 

C’est précisément le but des quelque 180 « school clubs » mis en place par l’association Acisda. Les fillettes y apprennent, par le biais de poèmes, de chansons et de saynètes le danger que représentent les mutilations génitales. Nombreuses sont celles qui disent vouloir devenir juge ou médecin pour participer au combat. Mais toutes n’ont pas la chance de rejoindre les bancs de l’école.

 

DES CROYANCES ENCORE BIEN ÉTABLIES

Un habitant décrypte : « Si une famille a quatre enfants, le premier s’occupe du troupeau, le second des chameaux, et seuls les deux derniers vont étudier. » Du côté des parents, les croyances sont bien établies. « On nous a toujours dit que l’excision, ça rendait les femmes timides et ça évitait qu’elles aillent avec d’autres hommes« , explique ainsi Oumar Abdallah. Cet après-midi-là, il est installé dans le bureau d’Acisda, à Dawe, pour une formation avec Pakiza, la sage-femme. Elle veut tester les connaissances des jeunes gens qui, comme Oumar, sont chargés de prêcher la bonne parole dans les villages.

« Pouvez-vous dessiner un sexe féminin sur cette feuille ?« , demande-t-elle à la cantonade. Courageusement, Zahra s’y colle. Elle explique en même temps : « Là, c’est avant l’excision, là, après. Là, c’est la mutilation de type 3, lorsque le clitoris et les petites lèvres ont été coupés, et les grandes lèvres cousues. » Le dessin est approximatif. Alors Pakiza fait passer des planches décrivant l’anatomie féminine, que Zahra s’empresse de prendre en photo avec son téléphone. Hommes et femmes sont un peu gênés devant les images. Malgré tout, les mots sont crus ; le sujet n’a, et c’est surprenant, rien de tabou.

 

LE MESSAGE SEMBLE ÊTRE PASSÉ

Depuis quelques mois, l’excision est d’ailleurs au coeur du « dagu », sorte de bouche à oreille local qui permet de diffuser les informations depuis les villes jusqu’en brousse. Auprès des adolescentes, le message semble être passé. « J’en parle avec mes parents, dit Halima, 14 ans, ses traits fins encadrés d’un beau voile jaune. J’ai expliqué à mon père que ce n’était pas bien, il a plutôt bien réagi. » Lorsqu’il s’agit d’évoquer la persistance de la pratique, en revanche, les langues ont du mal à se délier. Assise sur le tapis qu’elle a déplié devant sa maison ronde, Madina, elle aussi ancienne exciseuse, donne sa parole : elle ne pratique plus depuis quatre ans. Son propre fils était pourtant le père du bébé qui a perdu la vie à l’automne dernier, à Dawe…

« C’est ma belle-fille qui avait insisté pour l’exciser. Ils ne vivent pas à la ville mais dans la brousse, là-bas, c’est compliqué. » Ashenafi, le patron d’Acisda, voudrait mettre en place une cérémonie pour les parents qui n’ont pas excisé leur enfant. « Ce serait un moment de fierté pour eux, on leur offrirait des vêtements traditionnels, par exemple« , explique-t-il. De quoi inciter les autres à leur emboîter le pas ? Pour l’instant, Ashenafi assure avoir archivé 78 certificats établis par des médecins attestant qu’autant de fillettes n’ont pas été opérées. Pakiza, elle, constate lors de ses consultations dans les centres de santé qu’environ une petite sur cinq n’est pas mutilée. C’est environ deux fois moins qu’avant, mais encore beaucoup. Et bien souvent les familles ont l’impression d’avoir fait un grand pas lorsqu’elles renoncent à l’infibulation pour se contenter de l’excision de type 1 (qui consiste « seulement » à couper le clitoris).

 

FORMER LES ACCOUCHEUSES

La sage-femme ne flanche pas pour autant. Dans sa voiture de Médecins du Monde, elle continue à parcourir les hameaux et les centres de santé. Ce matin-là, c’est dans celui de Talalak qu’elle doit dispenser une formation à ses homologues éthiopiennes. Sur un mannequin, elle leur montre comment « désinfibuler » dans les meilleures conditions une femme avant son accouchement. Pour permettre au bébé de passer, il faut en effet découdre les grandes lèvres du sexe de la femme ; la procédure est délicate. Les sages-femmes observent attentivement, commentent entre elles.

A la sortie, Meseret s’enthousiasme : « Elle nous a aussi montré comment faire après la sortie du bébé. Avant, on laissait les grandes lèvres telles quelles, mais elles finissaient par se recoller naturellement. Maintenant, on sait comment faire pour qu’elles restent ouvertes. Grâce à cette technique, les femmes auront une meilleure vie après leur accouchement ! » Mairam, justement, est en salle de travail juste à côté. Elle a 20 ans, et c’est son quatrième enfant. Comme elle est excisée, les risques sont multipliés. Dans la cour, le père, en tenue traditionnelle et poignard à la ceinture, fait les cent pas, le regard noir. Soudain, un cri strident s’échappe par la fenêtre. Mohamed est né.

« Le bébé va bien, confie Pakiza. C’est un petit garçon. Si ça avait été une fille, on aurait discuté avec les parents pour savoir ce qu’ils comptaient faire. » Si ça avait été une fille, elle aurait surtout eu beaucoup moins de chances, à cause de l’excision, de vivre en bonne santé. De vivre tout court. La zone 5 de la région Afar compte 117 500 hommes contre 87 500 femmes. « Mais ça va changer,veut croire Zahra. Avant, si une femme mourait, c’était parce que Dieu l’avait voulu. Ma génération est la première à savoir vraiment pourquoi elle meurt.« 

 

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Une réponse sur « « Pourquoi refuses-tu la tradition ? » | Enquête sur les ravages de l’excision en Éthiopie »

Bonjour,

originaire de rennes j’ai effectué un covoiturage auquel participait un étudiant AFAR de 29 ans. Nous avons parlé de l’excision et il m’a certifié que cette pratique avait lieu à Rennes dans sa communauté. J’ai demandé comment le fait n’était pas découvert via la medecine scolaire notamment il m’a répondu que les petites filles n’allaient pas à l’école et ne sortaient pas!

J’ai envoyé un message sur le site AFAR de rennes qui se plaignait de difficultés d’intégration de leur peuple ici je leurs ai demandé qu’ils commencent par cesser l’infibulation des filles ici! je n’ai jamais eu de réponse!

Bien cordialement

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