« J’ai le regret de vous annoncer le décès d’une de nos filles âgée de 18 ans de l’espace sûr de Tchizokourégué (Madarounfa) le 4/4/2015 suite à anémie sur grossesse de 9 mois, paix à son âme. »
Une forte émotion m’envahit.
« 18 ans », « paix à son âme » !
Je suis stupéfaite, terrassée par ces mots macabres.
Malgré qu’il soit invisible, le soleil arrive à transpercer l’enveloppe grise de sable qui couvre Niamey en ce calme dimanche après-midi quand la nouvelle arrive de Maradi par email, éclairant un peu la pénombre émotionnelle dans laquelle j’ai été plongée.
Dans ma tête, je commence à poser des questions.
Pourquoi es-tu morte si jeune ? Dix-huit ans, c’est l’âge où on se réjouit de pouvoir enfin être adulte et exercer ses droits civiques. Mais voilà, toi tu ne pourras ni voter aux prochaines élections ni remplir d’autres devoirs de citoyenne. Quel gâchis !
De l’avalanche de questions, une revient sans cesse : pourquoi étais-tu enceinte à 18 ans ? Plus tard, j’apprends que tu étais déjà mère d’un enfant de deux ans, aujourd’hui orphelin. En faisant un calcul simple, je comprends que ta famille t’avait surement mariée vers l’âge de 15 ans.
Laissez vivre les filles du Niger et éliminons le mariage des enfants (…)
Quand la collègue a parlé de l' »une de nos filles », elle a raison. Oui, tu étais ma fille. Tu étais membre d’une Initiative que j’ai conçue avec toute l’équipe de UNFPA à mon arrivée au Niger en 2012. Illimin Zaman Dounia donne aux adolescentes, comme toi, de 10 à 19 ans, des connaissances et des compétences pouvant les habiliter à comprendre les risques des mariages des enfants et des grossesses précoces et à être suffisamment confiantes en elles pour dire « Non merci ».
Pourquoi tu n’avais pas trouvé notre programme avant ? Aurais-tu été à l’abri des dangers ? Je pleure sans bruit parce que je me sens complice du fait que nous ne t’avions pas recrutée assez tôt pour te sauver la vie. Mes larmes s’évaporent dans les regrets.
Je refuse cet état de fait.
Les filles aussi s’élèvent contre cette situation puisqu’elles commencent à dire « non » au mariage précoce. Les Amira à Maradi, les Fatimata à Tahoua, les Zeinabou à Zinder, les Leylas à Niamey, et les Balkissa, les Salamatou, etcetera, etcetera. Je les appelle « celles qui disent non ». Elles prennent la parole dans leurs villages, dans les villes, à la tribune de l’Union africaine, ou des Nations unies avec le soutien de UNFPA pour dire qu’elles ne veulent pas être mariées et enceintes avant 18 ans, elles ne veulent pas subir la fistule obstétricale. Elles ne veulent pas mourir jeunes, comme toi.
Aicha, tes droits ont été violés, ta vie t’a été arrachée mais sache que même si je pleure ta mort dramatique, moi et des milliers d’autres femmes et hommes se mettent ensemble pour dire : « laissez vivre les filles du Niger et éliminons le mariage des enfants et les grossesses précoces qui les emmènent trop souvent à la mort. »
Monique Clesca est la représentante du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) au Niger.
Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150506175444/