Pierre Foldès. Architecte du clitoris

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Pierre Foldès. Architecte du clitoris
13 juillet 2012 à 21:46
PORTRAIT Ce chirurgien urologue de Saint-Germain-en-Laye, a fait de la «réparation» de femmes excisées son combat.

Par CAMILLE VIGOGNE LE COAT
Le docteur Foldès accueille à son cabinet, à peine sorti du bloc, sourire confiant aux lèvres. Dans sa salle de consultations, au sein de l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, le décor surprend. Derrière son bureau, s’affiche une photo de lui en compagnie de Mère Teresa. «J’étais plus mince à l’époque», précise en riant le médecin qui, à l’aise, enlève sa chemise pour enfiler une blouse blanche. Il ajoute, sérieux : «Elle m’a tout appris.» Affirmation étrange dans la bouche d’un médecin qui se revendique catholique non pratiquant. De cette «sainte», avec laquelle il a travaillé pendant trois ans, il retient l’importance de «ne jamais baisser les bras, de ne pas désespérer quand on côtoie l’extrême». Aux murs, dans un mélange hétéroclite, se côtoient les portraits d’Anne Frank, de Gandhi, d’enfants mutilés et d’autres qui sourient. Il y a aussi des images de mines antipersonnel. Chaque photo a son histoire et Pierre Foldès, bavard, pourrait parler de chacune d’elles durant des heures.

Ce chirurgien urologue se montre prolixe au sujet de ses travaux. En mission d’évaluation au Burkina dans les années 80, il découvre l’horreur de l’excision. Depuis ce jour, il combat cette pratique ancestrale. Il précise, avec une prudence un peu trop appuyée : «En temps qu’homme, je suis mal placé pour juger de ce genre de tradition. En tant que médecin, je suis à même de comprendre les dangers de ces pratiques.» Pas question, donc, de mélanger les genres. Même précaution au sujet de la religion : «On associe souvent l’excision et l’islam. Or, elle n’est pas uniquement pratiquée dans des pays musulmans et est apparue il y a vingt-sept siècles, bien avant les trois grandes religions !» Impossible malgré les relances, de pousser le docteur à se positionner plus précisément.

Au cours de ses recherches, Pierre Foldès découvre à sa grande surprise que pas une étude ne s’intéresse au clitoris alors que plus de 10 000 se consacrent à la verge. Tout d’abord, il apprend à réparer ce qui a été détruit, coupé, recousu. En voulant soulager les douleurs de ces femmes, il s’aperçoit que la mutilation n’a rien d’irrémédiable. En effet au cours de l’excision, seule la partie externe du clitoris – dont les 11 centimètres se rapprochent de la taille du pénis – est coupée.

Une fois la technique mise en place, il lui faut se battre à nouveau, afin d’obtenir le remboursement de l’opération par la Sécurité sociale. Car la gratuité de l’opération est la condition pour que ces femmes, issues de la population immigrée, accèdent aux soins chirurgicaux.

Le docteur Foldès a «réparé» des milliers de femmes. Au rythme d’une cinquantaine par mois, demande oblige. Il rappelle que «l’excision pratiquée sur des fillettes blesse un organe qui continue à vivre tout au long de leur existence». Les douleurs sont parfois permanentes. Il ajoute que «la souffrance n’est pas seulement physique, elle est aussi morale. Quand les femmes arrivent ici et parlent pour la première fois, c’est comme une thérapie. Souvent, à l’excision, s’ajoutent des violences conjugales, des viols, des cas d’inceste et des grossesses avortées».

Rien ne prédisposait pourtant cet homme à devenir médecin. C’est contre la volonté de ses parents qu’il quitte la classe préparatoire, imposée par son père et joue de la musique pour financer ses études. Rien ne le prédisposait non plus à s’intéresser à la cause des femmes. A devenir ce qu’il appelle un «médecin militant» et un «homme féministe». Jeune médecin, il voulait «faire» et l’idée de passer ses journées en consultations à signer des ordonnances ne l’excitait guère.

D’où son engagement au sein de Médecins du monde, dont il est aujourd’hui le responsable Asie. Il adhère à la «doctrine Kouchner» et revendique le devoir d’ingérence. Il précise cependant que «depuis sa création, la doctrine a évolué. Elle a perdu son caractère unilatéral pour une coopération bilatérale Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud». Il affirme avoir refusé des propositions d’interventions nettement plus rémunératrices, comme celle d’aller offrir une nouvelle jeunesse aux vulves de riches Saoudiennes. A Saint-Germain-en-Laye, il opère souvent gratuitement et si dépassements d’honoraires il y a, ils restent minces.

On l’a bien compris, le docteur Foldès porte un véritable culte à la femme. Pour lui le plaisir féminin n’a rien d’accessoire. Il se dit «fasciné» par ce petit organe si peu étudié qu’est le clitoris. C’est pourquoi il a collaboré avec la gynécologue Odile Buisson, auteure de Qui a peur du point G ? Cette dernière a réalisé pour la première fois des échographies du clitoris et du point G, en 2009 et 2010. C’est Pierre Foldès qui est venu la voir, afin de monter ce projet commun. «C’était dingue de voir ce gros costaud de 1,87 m, plein de muscles, monté sur sa grosse moto, venir me proposer de réaliser une écho du clitoris. Alors que moi, en tant que femme, je n’y avais jamais pensé», raconte la gynécologue. Admirative devant un personnage qui, selon elle, possède «un supplément d’âme», elle conclut : «Il y a quelque chose dans ce don de soi que je n’arrive pas à piger… C’est héroïque ou névrotique.»

A force d’être entouré de féministes dans son environnement professionnel, Pierre Foldès a adopté leur cause. Alors qu’il participait à un groupe de réflexion à l’Assemblée nationale sur la gestation pour autrui, il découvre que 44 hommes sont réunis, pour une seule femme. Ce genre de situation l’indigne : «Je tente de ne pas me comporter en macho primaire, au travail comme dans le privé.» Même s’il ajoute en riant ne pas pouvoir «s’empêcher de regarder une belle paire de jambes».

A 63 ans, Pierre Foldès ne manque pas de panache, ni de sens de la formule. S’il affirme que se «mettre en avant, serait reproduire un processus machiste malvenu», il ne rechigne pourtant pas à parler de lui. Ce père de cinq enfants aime la mer, nager, naviguer, un plaisir que ce Parisien associe à ses origines bretonnes. Le violon, sa première passion, n’a pas résisté aux quatre-vingt-dix heures de travail hebdomadaire.

Ce rythme effréné n’empêche pas Pierre Foldès de culpabiliser pour des crimes qu’il n’a pas commis. A la manière d’un clown triste, il avoue avoir le sentiment de porter sur ses épaules l’entière culpabilité de la communauté masculine dans les violences infligées aux femmes. Sa plus grande qualité ? Il dit refuser de céder à la peur. «La volonté de mutiler le corps des femmes est, chez l’homme, le produit d’une peur de la jouissance et de la sexualité féminines.»

Pierre Foldès en 5 dates

6 mai 1951 Naissance à Paris.

1978 Diplôme de médecine.

1984 Première chirurgie réparatrice sur une femme victime d’excision, au Burkina.

2001 Obtient le remboursement de cette chirurgie par la Sécurité sociale.

2012 Ouverture d’un centre médical et social à Saint-Germain-en-Laye, spécialisé dans la violence faite aux femmes.
Source http://www.liberation.fr/societe/2012/07/13/pierre-foldes-architecte-du-clitoris_833258

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